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presque complètement d’officiers, et qui d’ailleurs furent abandonnes par leurs commissaires et leurs chefs, perdirent dans cette bataille plus de cinq cents hommes.

C’est là dans le village de Lejanka, que me sont apparues pour la première fois les horreurs de l’impitoyable guerre fratricide. Quel cauchemar de rencontrer tous ces cadavres de citoyens russes jonchant les rues de ce grand village ! Le fantôme terrible de la guerre civile, qui se révélait à moi, me bouleversa dans tout mon être. Il m’arriva plus tard de voir beaucoup, beaucoup de sang, mais tel est le mécanisme de la sensibilité humaine : l’habitude prévaut sur tout, même sur les atrocités de la guerre civile. Plus tard, à force même d’en avoir été témoin, elles ne produisirent plus le même effet sur mes nerfs : je m’étais accoutumé !

Les bolchévistes nous opposèrent une résistance plus sérieuse près de Korenevskaïa. Près de cette stanitza, notre petite armée eut pour adversaires, non plus des bandes comme près de Lejanka, mais de vraies troupes. A cette rencontre, nous eûmes pour la première fois des pertes considérables. Or les blessés étaient pour nos chefs une difficulté et un embarras terribles. Force nous était de les emmener avec nous, par d’affreuses routes, dans les conditions les plus pénibles, presque sans secours organisé. Les abandonner, c’était les condamner à une mort certaine. Ainsi arriva-t-il pour les blessés laissés à Novotcherkassk et Rostow. Lorsque nos troupes quittèrent ces. villes, le personnel bolchéviste des hôpitaux, y compris les infirmières, massacra ces malheureux en leur faisant subir des outrages incroyables... Les blessés et les infirmières de la Croix-Rouge laissés devant Ekaterinodar subirent le même sort.

Comment peindre les souffrances qu’ont endurées nos malades et nos blessés entassés dans des chariots mal suspendus et qui n’étaient pas faits pour ce genre de transports ? Nous manquions de matériel médical aussi bien que de personnel. Une nuit, au cours d’une des étapes les plus pénibles et par une boue incroyablement épaisse, nous avancions, sans route tracée, parmi les ruisseaux débordés. Je cheminais en suivant le convoi des blessés. Devant moi, on transportait un jeune porte-enseigne. La blessure eût pu n’être pas mortelle ; mais la gangrène commençait à gagner, et on ne pouvait penser à opérer. Chaque