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de vache fraîche largement délayée d’eau, seul moyen d’abattre la poussière, on ouvrait la grange, on jetait un amas de gerbes sur la place, au grand soleil : assez pour la couvrir, une fois dénouées et étendues. Les gerbes déliées, on les disposait en longues files parallèles, brassées par brassées (et c’est pourquoi on les avait faites toutes distribuées), les épis en dessus et les tiges en dessous et s’imbriquant, juste comme les tuiles à canal du toit. On orientait les lignes face au soleil levant jusqu’à midi, face au soleil couchant après. Ainsi, pris tout le jour en enfilade par l’astre, couvés de flamme, les épis se vidaient abondamment sous les coups. On entrait dans la jonchée pieds nus, dans le sens pour ainsi dire des coulées. On battait par équipes de quatre, deux hommes, deux femmes toujours, travaillant ensemble. Les vêtements étaient sommaires : chemise et pantalon pour les hommes, chemise et cotillon pour les femmes ; pour tous, un grand chapeau de jonc tressé, avec une feuille de chou sous la calotte. Le soleil se chargeait du surplus. Les femmes encore, par décence, et je crois aussi par une coquetterie qui ne les abandonne jamais ici, nouaient à leur col un foulard de soie fine, et l’épinglaient à leur chemise. Il était choisi avec soin, vert tendre ou bleu pour les blondes, rouge ou jaune franc pour les brunes. Même ruisselantes de sueur, assises sur ce nœud seyant, les figures ne perdaient rien de leur type ou de leur rayon…

Les équipes se faisaient face, à distance de fléau les unes des autres. On attaquait la jonchée par la lisière droite. Le premier piquet abattait ses outils, tandis que le second levait les siens, et celui-ci frappait ensuite, alors que celui-là armait, et ce jeu alternatif, exactement cadencé, se poursuivait tout le travail, en marchant et en reculant du même pas d’un bord à l’autre. Chaque équipe à son tour avançait et rompait. Va-et-vient promené par tout le lit de paille, qui ne laissait nulle place sans être frappée. Labeur exténuant au reste, où le corps tout entier s’efforçait, qui essoufflait les poumons les plus souples. Un bruit incessant et rythmé s’élevait, pareil à celui d’un lavoir… À midi, on ratissait la paille battue, on l’enlevait. Après le dîner, la sieste faite, on retournait le reste des brassées, grain. » ; en dessus toujours, et le battage reprenait. Le soir venant, dès que la brise accoutumée se levait, on ratissait de nouveau et on se mettait à vanner. On éventait d’abord le blé à terre avec des