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branches, fortement agitées au-dessus, qui le débarrassaient des débris de paille, et puis les hommes, de place en place, prenaient et jetaient en l’air le grain, dans le vent, à grands coups de pelle de bois. Ils le jetaient haut, le plus haut possible, pour montrer leur force, et aussi parce que le souffle emportait plus loin la balle. Et le blé retombait en pluie lourde, en averse qui sonnait sur le sol et, peu à peu, aux pieds de chaque homme, s’amoncelait. Alors, en face, accroupie, du bout d’un balai de genêt, si doux et souple, une femme époussetait l’amas, époussetait couche par couche. Elle le rendait propre comme de la grenaille de cuivre. Et vite, vite, on mettait en sac, on chargeait sur l’épaule, on grimpait au grenier, le long d’une échelle dressée contre le mur... Le crible n’intervenait que plus tard, pour trier plutôt que pour épurer, avant de porter le blé au marché ou au moulin... A la nuit, un grand trou était déjà fait dans la grange. Et quand l’ombre descendait, douce, imprégnée de serein, réparatrice, tous les seins la respiraient avec délice. On s’étendait, on glissait en elle corps et âme, avide de sommeil.

Après les gens, les bêtes. Comme le battage durait longtemps, que les forces s’usaient, on appelait les bêtes. On attelait les bœufs aux rouleaux de bois, écraseurs de mottes, et on les promenait en tournant sur la jonchée. C’était la joie des enfants. Ils obtenaient de s’asseoir sur le banc fixé au cadre de l’outil, où ils se cramponnaient des deux mains, et ils ballottaient là au-dessus de la moisson.

Les rouleaux en route, on allait chercher les chevaux à la lande. Chaque maison possédait alors sa cavalerie. Des bidets râblés, à l’œil vif, aux crins épars, qui vivaient de peu. On les attachait les uns aux autres par le licol, à la gauche du plus tranquille, on les mettait en rond à leur tour, au bout d’une longe. Un grand fouet claquant, qui les touchait à propos, les maintenait en cercle. Ils évoluaient au trot, se déplaçant continuellement, piétinant la paille dans l’intervalle laissé par les rouleaux. Bien qu’ils en prissent l’habitude, leur conduite était difficile. Il ne fallait point les jeter sur les attelages. C’était l’affaire des maîtres. D’aucuns auraient pu se montrer dans un cirque... Et donc, soit à jour passé, soit à demi-jour, ces humbles serviteurs, patients amis, remplaçaient les gens qui soufflaient, battaient leur part de blé. Mais la dernière journée était réservée au personnel. Elle se terminait par « l’escoube-so, » le nettoiement