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organisation d’élite et des facultés bien supérieures aux miennes. Ses compositions me semblaient révéler un homme de génie et j’enviais l’avenir auquel il me semblait appelé. J’allais souvent passer la soirée chez lui, où l’on faisait beaucoup de musique Un jour, je. reçus de mon ami, qui était à la campagne, un mot par lequel il me priait de venir le voir, me disant qu’il avait à me faire part d’une nouvelle qui m’intéresserait. Je crus qu’il s’agissait d’un mariage. Lorsque j’arrivai chez lui, il m’annonça qu’il voulait se faire prêtre ; je m’expliquai alors le sens des in-folio et autres gros livres dont, depuis quelque temps déjà j’avais remarqué que sa table était chargée. Je ne compris pas un tel revirement et je le plaignis d’une préférence qui lui faisait sacrifier un si bel -avenir pour un sort qui me paraissait alors si peu digne d’envie. »

Gounod ne tarda guère à comprendre, mieux que personne, ce qu’il appelle « un revirement » et qui n’était en réalité qu’une confirmation. Peu d’années après, on le sait, il allait à son tour prendre le même chemin. Il n’y fit, il est vrai, que les premiers pas, mais en lui commença du moins ce qui dans son ami devait s’achever.

Désormais, c’est Gounod, plus que Liszt, plus que tout autre musicien, Gounod seul, avec qui Charles Gay, prêtre, puis évêque, sera lié jusqu’à sa mort.

A peine arrivé à Rome, le 7 décembre 1839, il écrit : « J’attends avec joie Charles Gounod : ce me sera une très douce et très utile compagnie. » Pour le jeune pensionnaire de la villa Médicis, la société du jeune séminariste allait être non moins douce et plus profitable encore.

11 mars 1840 : « Charles Gounod va bien, mais il souffre de sa solitude II est vrai qu’il a compris que la force et la consolation ne se trouvent pas en deux endroits, et son âme se tourne d’elle-même vers le soleil. Combien j’en bénis Dieu ! Ce sera certainement un grand artiste. » La réunion des deux amis ne dura guère. Le climat romain éprouva très vite la santé délicate de Charles Gay. Avant la fin du printemps de 1840, les médecins l’obligèrent à quitter Rome. Un de ses regrets était d’y laisser Gounod. Aussitôt de retour à Paris, l’une de ses premières visites fut pour la mère de son ami. Mme Gounod écrit à son fils (mai 1840) : « Ton bon ange m’a consacré deux heures (de huit à dix), et pendant ces heureux instants il m’adonne l’occasion