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de Schumann, dont je te ferai connaître les œuvres. Cela m’a semblé bien bon de retrouver ma chère musique, et de la retrouver si vivante et si belle ! Après, nous avons été prendre des glaces et nous sommes restés à causer jusqu’à une heure du matin. J’ai été bien heureux de pouvoir échanger quelques idées : de cela aussi j’avais été fort prive ces derniers temps.

« Liszt est pour moi d’une bonté de frère : son chez lui est notre chez nous. Nous déjeunons et nous dînons aujourd’hui avec lui. Ce soir même nous aurons l’honneur d’un souper en compagnie de Rossini... Que te dirai-je ? Une réunion pleine d’attraits. »

Quelques jours plus tard, après avoir quitté Milan : « J’ai passé avec Liszt presque tout mon temps, nous avons même pris nos repas ensemble. Nous avons été mardi, de compagnie, faire une visite à la Chartreuse... La conversation n’a pas langui Liszt a l’esprit le plus intarissable qu’on puisse imaginer. C’est un problème pour moi que, sans études premières, ayant acquis, dans une spécialité généralement très exclusive, le plus admirable talent, il sache toutes les choses qu’il sait et ne soit étranger à aucune des idées qui ont cours dans le monde. Cette vie intime de quelques jours, en nous faisant connaître davantage l’un à l’autre, a fini de nous lier, et maintenant c’est une amitié placée au-dessus des chances humaines...

« Je te rapporte une dizaine de mélodies de Schubert, que Liszt a transcrites pour le piano. Il me les a dites de façon qu’elles m’ont pénétré et je me charge de te les apprendre. J’ai aussi pour toi trois morceaux de Schumann que tu auras plaisir à connaître et qui t’avanceront beaucoup sous le rapport instrumental. Cet hiver nous allons faire de la musique comme des bienheureux. »

Pour lui, cet hiver allait se passer d’autre sorte. L’appel intérieur ne cessait plus de retentir en son cœur. Il sentit que le moment était venu d’y céder. Les siens y résistaient encore. Il sut les convaincre, et en octobre 1839, à vingt-quatre ans, Charles Gay partait pour Rome où il avait résolu de se préparer au sacerdoce.

Parmi les amis qu’il laissait à Paris, l’un des premiers à connaître sa résolution fut Gounod. Il s’en étonna d’abord. « J’étais, écrira-t-il plus tard dans les Mémoires d’un artiste, j’étais en admiration devant cet ami en qui je reconnaissais une