Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour cette œuvre ! Je te redis cela souvent, mon bon Charles, parce que je comprends toute la sublimité d’une pareille vocation... Je bénis Notre Seigneur de ce qu’il fait en toi et par toi pour préparer cet avenir d’artiste chrétien. Le passé et le présent me donnent une immense confiance. Demeure seulement l’enfant de Dieu et laisse-le faire... »

Cet « avenir d’artiste chrétien » qu’il avait autrefois rêvé pour lui-même, le futur prêtre ne se lassait pas de le souhaiter, de le prédire à son ami :

«... Je te l’avoue, j’ai une confiance immense, j’ai une certitude réelle, si j’ose le dire, que Dieu te conduira par la main, pourvu que tu ne retires pas la tienne de la sienne. Ton âme est capable de recevoir l’inspiration. Dieu l’a faite ainsi. Maintenant, c’est à toi de la tenir ouverte toujours par la pureté intérieure et de la dilater chaque jour davantage par la prière. Je te parle là un langage qui ferait hausser les épaules à la plupart de tes confrères ; mais je sais que tu peux l’entendre et que les paroles de la vie trouvent de l’écho en toi. »

Au mois de mai 1843, ayant achevé ses années romaines, Gounod regagnait Paris. « Que je te dise une heureuse nouvelle, écrit Charles Gay à sa sœur, Charles Gounod arrive aujourd’hui même jeudi. Je vais aller le recevoir tout à l’heure à la diligence. Tu devines en quel état de ravissement et de larmes est sa pauvre mère. Elle est admirable en bien des choses. La voyant ainsi, je pensais à la joie que doit ressentir la sainte Vierge en recevant un de ses enfants après le voyage de ce monde. Ce sera une fête générale ici... Sa mère a pensé à tout ; les pauvres auront leur part, car elle a préparé de belles layettes pour les donner au curé le jour du retour de Charles. Vraiment, c’est une grande joie qu’il nous soit rendu. »

Pour celui qui revenait, le « voyage de ce monde » n’était pas fini. Il ne commençait même pas encore. Bien plus, Gounod avait résolu d’abord de vivre hors du monde. Quelques mois avant son retour, sa mère lui écrivait : « Je ne sais de quel côté tu désireras loger. Sera-ce près des Missions [1], ou près de l’Opéra ? » Ce fut d’abord tout près des Missions, rue Vaneau, sous le même toit que le curé de la paroisse, l’abbé Dumarsais, jadis aumônier du lycée Saint-Louis, et depuis lors ami commun des

  1. L’église des Missions étrangères, rue du Bac.