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deux familles Gounod et Gay. Charles Gay lui aussi vivait avec l’excellent prêtre, et Mme Gounod mère habitait également la maison.

Le jeune musicien à peine rentré à Paris, le curé lui proposa la place de maître de chapelle en son église. Gounod accepta, sous la condition qu’il n’aurait d’ordres à recevoir de personne et qu’il serait le maître, ou « le curé de la musique. » Il eut du mal à le devenir. Ses paroissiens l’y aidaient médiocrement. Déjà la musique d’église n’était pas celle de l’Eglise, et quand par hasard elle venait parmi les siens, les siens ne la recevaient pas. Cependant les deux amis vivaient étroitement liés par leur art commun et leur commune foi. Au mois de mai 1845, Charles Gay fut ordonné prêtre. Sous son influence peut-être, Charles Gounod se crut d’abord appelé à le suivre. Mais il ne le crut pas longtemps. « Je sentis qu’il me serait impossible de vivre sans mon art et, quittant l’habit pour lequel je n’étais pas fait, je rentrai dans le monde [1]. »

Alors commence vraiment pour lui « le voyage de ce monde, » suivant l’expression de son ami. Et jusqu’à la fin, parmi les hasards et les périls de la longue route, son ami, devenu son guide, n’abandonnera jamais le voyageur. Il marchera devant lui, s’arrêtant, se retournant parfois pour appeler, rappeler celui qui s’attarde ou s’égare. En termes d’une haute éloquence, il bénira son mariage ; il baptisera son premier-né. Au prêtre, puis à l’évêque, rien de la vie de l’artiste, ni de son œuvre, ne sera jamais indifférent, ou seulement inconnu.


L’histoire de Gounod, son histoire religieuse, est par moments, — il nous l’apprend lui-même, — une « histoire des variations. » Les lettres des deux amis, (années 1860 et suivantes), en rendent un sincère et parfois émouvant témoignage. « J’ai reçu, écrit l’abbé Gay à un tiers, une lettre de mon pauvre Charles ; il me navre. Le monde est entré là et en a chassé Jésus-Christ, autant qu’on peut chasser cet amour obstiné qui ne lâche sa proie qu’à la mort. Beaucoup trouveront cette lettre bonne : elle me désole. Il se recommande à mes saintes pensées. Le malheureux ! qu’est-ce qu’elles peuvent lui

  1. Mémoires d’un artiste.