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prit l’habitude d’apporter un gros livre qui lui servait de pupitre et, sans quitter sa place favorite, tandis que la mémoire des choses passées abondait comme une neige sur les lèvres maternelles, la jeune fille écrivait rapidement sur ses genoux. C’était toujours l’histoire des « enfances » du poète, sa beauté, les prodiges de sa naissance et de sa jeunesse, l’éclat qui environnait cette adolescence divine, ses premières amourettes, comme il patinait bien, comme il faisait le feu follet dans la prairie du Mein, et toutes les anecdotes de ces Evangelia juventutis, qui sont la gloire ineffaçable des premiers chapitres de cette vie immortelle. Et rien n’est plus touchant, dans le roman, de Bettine, que le tableau de ces deux femmes, l’une si jeune, l’autre si près de la tombe, unies toutes deux par le même culte, l’aïeule rajeunie par le contact de l’enfant, et l’enfant instruit à l’amour par les récits de l’aïeule.

Enfin, elle parvint à couronner son rêve : au retour d’un voyage à Berlin, où elle accompagna un de ses beaux-frères, travestie en garçon sur le siège de la voiture pour traverser les lignes, une toque de renard sur la tête, une latte au côté, un pistolet à la ceinture, — le joli petit postillon qu’elle devait faire ainsi, animée par l’éclat d’une prodigieuse attente ! — elle vit Goethe, elle fut reçue avec bonté par son idole. C’était à Weimar, le 23 avril 1807. Elle le revit à l’automne, où elle demeura à Weimar pendant une dizaine de jours. Trois ans plus tard, ils se retrouvent ensemble à Teplitz, près de Carlsbad, du 9 au 11 août 1810. L’année suivante, Bettine. nouvellement mariée, reparait à Weimar, en compagnie d’Arnim. On verra ce qui devait résulter de ce voyage.

C’est pendant ces quatre ans, de 1807 à 1811, que tient toute la correspondance de Gœthe et de Bettine. A partir de 1811, le poète n’a plus écrit, et Bettine elle-même n’a pas osé lui attribuer une ligne postérieure à cette date. A prendre cette amitié singulière dans son beau temps, à lire dans leur suite les lettres qui nous en restent, et à les lire, bien entendu, dans le texte authentique qui vient de nous être rendu, que voyons-nous ?

Du côté de Bettine, c’est le plus gracieux élan de jeune fille, une exaltation de pensionnaire, pleine de timidité, de coquetterie, d’abandon, de familiarité, quelque chose d’irisé, d’indécis comme un songe, bref, un charmant marivaudage et le plus