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150 canons et des milliers de prisonniers ; au Nord, les Turcs sont entrés le 5 à Brousse ; au centre, ils ont pris Ala-Cheïr ; ils sont aux portes de Smyrne. On ne voit pas ce qui pourrait les empêcher d’y entrer ; un redressement militaire ne paraît pas possible. Ce n’est pas seulement, pour les Grecs, une défaite grave, c’est un désastre sans remède. L’armée paraît s’abandonner ; comment s’en étonner quand on sait qu’elle est mobilisée depuis 1912 ! A quelques heures d’intervalle nous apprenons la nomination du général Tricoupis comme commandant en chef et sa capture par les vainqueurs ! Le Gouvernement et l’état-major ont annoncé déjà leur intention d’évacuer l’Asie-Mineure ; ils renoncent à cette Ionie dont ils venaient si intempestivement de proclamer l’autonomie.

Les responsabilités du roi Constantin, assassin des marins français, sont lourdement engagées ; mais, par-dessus sa tête, la politique de M. Lloyd George et de lord Curzon subit un grave échec. C’est l’Angleterre qui, dans son propre intérêt, a excité les ambitions de M. Venizélos et troublé sa sagesse ; c’est elle ensuite qui a soutenu la politique de Constantin, qui a voulu faire de l’armée grecque un instrument de domination à son profit et de lutte contre l’influence française. Depuis le mémorandum du 20 mars, notre diplomatie ne cesse de presser le Cabinet britannique de hâter la réunion de la Conférence ; tous les retards sont le fait de la mauvaise volonté du Foreign Office. S’il attendait un événement, une décision de la force, il est servi à souhait. La patience des Turcs s’est lassée ; ils hésitaient devant les risques et les pertes d’une offensive dont les Français les dissuadaient ; mais le Cabinet de Londres prit soin de les y acculer ; ce fut d’abord le discours violent de M. Lloyd George, puis la menace de l’armée grecque de Thrace contre Constantinople ; puis la proclamation de l’autonomie de l’Ionie ; enfin Fethi bey, venu à Londres pour apporter des paroles de paix, ne fut reçu ni par M. Lloyd George, ni par lord Curzon. A tant d’imprévoyance le canon a répondu.

Les malheureuses populations que l’Angleterre, avec raison, tenait à protéger, sont les premières victimes de cette folle prolongation de l’état de guerre. Les Turcs affirment que l’armée grecque en retraite, pille, incendie et massacre les musulmans ; les Grecs affirment que l’armée turque qui s’avance pille, incendie et massacre les chrétiens ; il n’est que trop probable qu’il y a du vrai dans chacune des deux accusations. Sur quelle base maintenant va-t-on négocier à Venise avec les Turcs ? Accepteront-ils même l’armistice que la Grèce aux abois cherche à obtenir par l’entremise de l’Angleterre