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d’une famille lorraine et dans une petite ville toutes pareilles à sa propre famille et à sa ville natale. Voilà mon grand père, voilà les origines de la poignée d’idées et de sentiments où je me tiens avec tant de monotonie.


Né à Blesle en Auvergne, en 1784, mon grand père J.-B. Barres repose à Charmes, en Lorraine, sous une pierre de grès vosgien, datée de 1849. C’est le seul déplacement que je sache que ma famille ait accompli depuis le XVe siècle. De père en fils, nous avons voulu « naitre, vivre et mourir dans la même maison, » dans cette petite ville de Blesle où, notaires et médecins, nous remontons jusqu’à un Pierre Barrès dont le savant M. Le Blanc possède un titre daté de 1489. Avant ce Pierre Barrès, nous étions à Saint-Flour où un autre Pierre-Maurice Barrès joue un rôle durant la guerre de Cent ans et, loin dans le temps, nous venions de ce vieux « pays de Barrès, » le pagus Barrensis, des cartulaires mérovingiens, que jalonnent Murrat-de-Barrès, Lacapelle-Barrès, Mur de Barrès, Lacroix Barrès, et dont vraisemblablement nous avons reçu notre nom [1]. Ce gîte séculaire, ce réduit du Plateau Central, mon grand père l’a échangé contre un abri non moins ancien, quand il est venu prendre place au foyer d’une famille lorraine aussi sédentaire que la sienne. Ah ! « du temps que les Français ne s’aimaient pas, » quand mes jeunes camarades de la Revue blanche demandaient à Herr, le fameux bibliothécaire de l’École Normale, qu’il rédigeât en leur nom contre moi une bulle d’excommunication, ils eurent bien de la divination de me flétrir comme le produit typique des petites villes françaises. J’ai le bonheur d’être cela.

Je n’ai pas connu mon grand père. Il est mort treize années avant ma naissance, mais beaucoup de vieilles personnes m’ont parlé de lui, dans Charmes, qui se rappellent ses manières, aimables, un peu sévères et cérémonieuses.

Nos petites villes de l’Est regorgeaient alors d’anciens officiers de la Grande Armée. À Charmes, dans le même temps, je me

  1. Les Ancêtres auvergnats de Maurice Barrès, par Ulysse Rouchon, chez Champion ; Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, 1907. n° 7 et 8, discours de M. Marcellin Boudet, pour la réception de M. Maurice Barrès à l’Académie de Clermont-Ferrand ; les Origines auvergnates de Maurice Barrès, dans Paris-Auvergne du 4 février 1906.