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avant ma naissance, respiré, tout ce que je connais de mon père et de ma mère m’assure dans cette conviction. Qu’est-ce que mes livres ? J’ai raconté un peu d’Espagne et d’Asie ; j’ai travaillé à la défense de l’esprit français contre le germanisme ; j’ai magnifié la Lorraine. Eh bien ! j’ai vu mon père s’enchanter à Charmes, toute sa vie, des images qu’il avait rapportées d’un voyage qu’il fit, vers 1850, en Algérie, en Tunisie et à Malte. Ma piété pour l’armée, pour le génie de l’Empereur et pour la gloire, semble prolonger les émotions qu’a connues mon grand père et l’éblouissement que lui laissèrent, au milieu de ses misères de soldat, certaines matinées d’Espagne et de Portugal. Ses expériences demeurent la racine maîtresse qui a nourri mes livres d’une sève dont le romantisme latent était d’avance résorbé par son robuste sens de la vie. Enfin, si j’ai tant parlé, peut-être avec excès (du moins parfois mes meilleurs amis m’en ont plaisanté), des choses que j’ai vues dans l’horizon de Charmes, je répétais l’exemple de mon arrière-grand père Barrès (le père de l’auteur de ces Souvenirs), qui a publié une monographie du canton où lui-même vivait [1]. De toutes les idées auxquelles je me suis voué, aucune n’est plus ancrée en moi que la sensation de ma dépendance familiale et terrienne. J’ai ma vie propre, certes, mais limitée dans mes quatre saisons et attachée à une collectivité plus forte.

Ainsi je songe au cimetière, près de la tombe de mes parents. Quelques hauts peupliers décorent ce champ du repos, et je les regarde frissonner sous le vent. Dans la campagne au loin, le même coup de vent met en émoi les bois des côtes et les vergers de mirabelliers. Chacun de nous est pareil à l’une quelconque de leurs feuilles. Ardeur pour conquérir un surcroit de sève et de lumière, et puis, soudain, le détachement et la mort.

Je publie les Mémoires de J.-B. Barrès pour qu’ils servent de préface et d’éclaircissement à tout ce que j’ai écrit. Un jeune homme est arraché, déraciné par les secousses de la Révolution, d’une petite ville où les siens vivaient à leur connaissance depuis cinq siècles. Il parcourt le monde, il amasse des thèmes qui devaient d’autant plus le frapper qu’il appartenait à une race immobile, et puis, pour finir, il vient se réenraciner au sein

  1. Description topographique du ci-devant centon de Blesle, au Puy, an IX.