Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paille et l’alluma pour faciliter sa lecture. De notre bivouac, il fut à un autre. On le suivit avec des torches allumées en criant : Vive l’Empereur ! Ces cris d’amour et d’enthousiasme se propagèrent dans toutes les directions comme un feu électrique ; tous les soldats, sous-officiers et officiers se munirent de flambeaux improvisés, en sorte que sur des lieues en avant, en arrière, ce fut un embrasement général et que l’Empereur dut en être ébloui. » Voilà ce que vit mon grand père : le génie enveloppé par les flammes de l’enthousiasme et de l’amour. Et le lendemain, alors qu’avec ses camarades de la Garde, J. -B, Barrès gravissait les hauteurs du plateau pour entrer dans la bataille au cri de « Vive l’Empereur ! » l’Empereur lui-même les aborda. « Après nous avoir fait signe de la main qu’il voulait parler, il nous dit d’une voix claire et vibrante qui électrisait : « Chasseurs, mes gardes à cheval viennent de mettre en déroute la Garde impériale russe. Colonels, drapeaux, canons, tout a été pris. Rien n’a résisté à leur intrépide valeur. Vous les imiterez. » Il partit aussitôt, pour aller faire la même communication aux autres bataillons. » De telles minutes marquent de leur sceau toute une race. Mais cet enfant de vingt ans, ce soldat de la Garde impériale prend le contact de ce Multiplicateur de l’enthousiasme sans se laisser entamer par aucun désordre. Il nous raconte des scènes qui sont le lieu de naissance du romantisme et dépose leur souvenir sans un mot théâtral dans le sanctuaire de son cœur. Tous sont émus jusqu’au fond de l’âme, mais dans leur premier étonnement ils ne brisent pas leur réserve native, et la moisson lyrique ne naîtra que plus tard. C’est au long du dix-neuvième siècle, que ces instants inouïs viendront comme des revenants agiter les fils des héros et les empêcheront de dormir. Quel mystique aliment, quelles riches épargnes bien dosées, quelle préparation de chaleur et d’éclat ! De quel sacrement nos pères participaient !

Ainsi naquit le romantisme (que j’ai essayé, pour ma faible part, de juger et de mettre au point, sans jamais cesser de respecter ses ardeurs originaires), ou du moins voilà ses premières préparations. Fait remarquable, mon grand père et ses frères de gloire, tandis qu’ils introduisent dans le monde les éléments essentiels de cette fièvre, n’en présentent aucun symptôme. Stendhal a dit le grand mot : Napoléon faisait travailler toute cette jeunesse. L’action l’absorbait au point de supprimer toute