Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/519

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour traiter de la paix, et que le personnage descendu de voiture était l’empereur d’Autriche. Après leur conversation qui dura moins d’une heure, nous reprîmes la route d’Austerlitz, où nous arrivâmes exténués de fatigue, et mourant de faim : nous avions fait huit lieues dans la boue, et par un froid très vif. Il était nuit depuis longtemps quand nous entrâmes dans nos logements.

Rentré en France en février 1806 après 174 jours d’absence, dont 110 jours de marche, Barrès a bientôt la tristesse d’apprendre une douloureuse nouvelle :

Ce fut pendant mon séjour à Rueil que je fus instruit de la douloureuse perte que ma mère et toute la famille venaient de faire en la personne de mon père, décédé à l’âge de soixante-six ans. Cette mort inattendue me causa beaucoup de douleur, car je perdais en lui plutôt un ami qu’un père, tant il avait de bonté et d’amitié pour moi. Sa correspondance si aimante, si questionneuse, me charmait et me consolait souvent.

Des bruits de guerre qui circulaient depuis quelque temps, prenaient de jour en jour plus de consistance ; un camp d’infanterie de quatre régiments, établi sous Meudon, faisait pressentir de prochaines hostilités, car tout s’y organisait pour la guerre. La curiosité, le désir de voir un de mes amis, nommé officier récemment, lors de la promotion qui avait été faite à Vienne, m’y firent aller deux fois pour jouir de la vue de ce spectacle militaire aux portes de la capitale, et témoigner à mon ami combien j’étais satisfait de lui voir les épaulettes et l’épée, au lieu du sac et du fusil que nous portions, nous, ses camarades moins favorisés. A la vérité, cette promotion fut peu nombreuse, puisqu’elle ne s’étendit que sur seize des grenadiers et chasseurs ; mais elle fit plaisir, même à ceux qui ne furent pas au nombre des élus, parce qu’elle prouvait que l’intention de l’Empereur était de nous nommer tous successivement ; mais 16 sur 1 600, c’était bien peu.

Le 11 septembre (1806), toute la Garde, considérablement augmentée depuis la fin de la campagne, fut réunie dans la plaine des Sablons pour passer la revue de détail de l’Empereur. Tout y était, personnel, matériel, administration : on n’avait laissé dans les quartiers que les hommes et les chevaux qui ne pouvaient pas se tenir sur leurs jambes. Les compagnies ayant été déployées sur un seul rang, les sacs à terre et ouverts devant