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LE SOUVENIR
D’ALBERT SOREL

J’ai passé ma vie côte à côte avec Albert Sorel pendant plus de trente ans. Durant ce long espace de temps, à peine nous nous sommes quittés.

En 1877, j’entrais, pour la première fois, dans le bâtiment des Archives des Affaires étrangères, cette construction qui, en retour de l’Esplanade des Invalides, borde de sa masse aveugle le coin de la rue de l’Université. Par le porche qui s’ouvre sur cette rue, on abordait un escalier sombre et on pénétrait ainsi, à l’entresol, dans l’antre du secret diplomatique, dont le cerbère était, en ce temps-là M. Pierre Faugère. Quand j’eus montré patte blanche, on me conduisit, par d’autres escaliers non moins obscurs, vers un appartement dissimulé entre le grand bâtiment et les portiques. Une porte s’ouvrit sur une salle basse occupée en son milieu par une immense table sur laquelle était tendu un tapis vert. Là un homme de forte carrure et à la moustache mérovingienne travaillait seul. Je pris une chaise et m’assis en face de lui ; on m’apporta les registres que je venais consulter, et je me mis, à mon tour, au travail. Nous rencontrant là à peu près tous les jours et vivant en silence l’un près de l’autre pendant de longues heures, nous finîmes par nous connaître, nous lier, nous aimer tendrement. C’était Albert Sorel.

A la sortie, congestionnés l’un et l’autre par l’absorbant labeur des copies et des notes, nous nous habituâmes à aller