Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/525

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menton avec des cordons pour nous garantir le visage et surtout les oreilles du froid. L’Empereur, le prince de Neufchâtel et la plupart des généraux avaient des bonnets en forme de casque, faits avec des fourrures de prix, desquels il pendait deux bandes aussi en fourrure pour être attachées sous le menton quand le froid devenait plus piquant. Ces deux princes étaient habillés d’une polonaise en velours gris, doublée d’hermine ou de fourrure aussi riche, et chaussés de bottes aussi fourrées avec un vêtement semblable. Ils pouvaient supporter la rigueur de la saison, mais nous, pauvres diables, avec nos vieilles capotes, ce n’était pas la même chose. A la vérité, nous étions jeunes, nous marchions tout le jour, et puis on s’y était habitué.

Toutefois, Barrès souffre cruellement de la température. Une fois, revenant du camp chargé de bois, il tombe dans un ravin, où il reste plus d’une heure enseveli dans dix pieds de neige. Une autre fois, après une nuit affreuse passée près du hameau de Haff, il écrit : « Je regrettai bien des fois de ne pas être au nombre de ces milliers de cadavres qui nous entouraient. »


EYLAU

7 février 1807. — Au bivouac, sur une hauteur, à une demi-lieue en arrière d’Eylau.

Au départ, nous repassâmes de nouveau sur le terrain de combat de la veille et sur la position que nous avions occupée jusqu’à onze heures du soir ; un peu plus loin, sur l’emplacement où deux régiments russes avaient été anéantis dans une charge de cuirassiers. A cet endroit, les morts étaient sur deux et trois de hauteur ; c’était effrayant. Enfin, nous traversâmes la petite ville de Landsberg sur la Stein. Après avoir laissé derrière nous cette ville, nous arrivâmes devant une grande forêt, traversée par la route que nous suivions, mais qui était tellement encombrée de voitures abandonnées, et par les troupes qui nous précédaient, que l’on fut obligé de s’arrêter pour ce motif ou pour d’autres que je ne connaissais pas. Du reste, le canon grondait fort en avant de nous, ce qui faisait croire à un engagement sérieux. Je profitai de ce repos pour dormir en me couchant sur la neige avec autant de volupté que dans un bon lit. J’avais les yeux malades par la fumée du bivouac de la veille, par la privation de sommeil, et par la réverbération de