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français un monument élevé aux trop nombreux ouvriers inconnus morts pendant les travaux. Je reçois les diverses sociétés françaises, et en particulier les Martiniquais noirs, qui se montrent particulièrement heureux de me voir.

Nous visitons ensuite le collège La Salle, tenu par les Frères (les Ecoles chrétiennes, dont le supérieur et la plupart des professeurs sont français. L’évêque de Panama a tenu à m’y recevoir, et je ne manquerai pas d’aller l’en remercier à son évêché. Dans ce collège sont élevés quatre cents jeunes gens des meilleures familles de la République, qui apprennent à devenir de bons citoyens, tout en aimant la France.

Mais la fin de ce séjour si agréable avance à grands pas. Le colonel gouverneur nous reçoit dans un grand dîner où il a également invité le Président de la République ; c’est un diner sec, où nos hôtes plaisantent les verres de diverses tailles destinés les uns à l’eau pure, les autres à l’eau minérale... Toutefois, un de nos camarades de l’armée américaine nous parle avec beaucoup d’indignation des lois dites de tempérance. « Je n’ai jamais bu que de l’eau, nous dit-il, mais je trouve ces lois tout à fait hypocrites et nuisibles à la moralité de notre peuple. Dans tout appartement américain se trouve maintenant un placard qui recèle un petit alambic. Et chez nous la principale préoccupation des dames est d’échanger des formules de cocktail : deux livres de pommes, une poignée de blé dur, un quart de miel distillés ensemble, et vous m’en direz des nouvelles ! Ces boissons non rectifiées sont bien plus nuisibles que toute espèce d’alcool et surtout de vin venant d’Europe ou de Californie : ce sont de véritables poisons. Ici, pas besoin d’alambic secret, il suffit d’aller à Panama où l’on trouve toutes les liqueurs et tous les vins du monde. C’est là qu’est le cercle de l’Union que les Américains préfèrent de beaucoup au cercle d’ici, où l’on ne trouve que quelques variétés d’eaux minérales. »

Et en effet nous sommes invités à un grand bal très élégant que nous offre, au cercle de l’Union, la société panaméenne réunie à la société américaine de la zone. L’ensemble est particulièrement brillant, et nos jeunes officiers de marine ont beaucoup de succès.

C’est la dernière soirée, et le lendemain nous appareillons à neuf heures du matin pour le Pérou, avec un peu de mélancolie de nous séparer si vite de nos nouveaux amis.