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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/59

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nom de la sécurité française et européenne, au nom de la politique défensive et modérée qui était la sienne, il se fût placé énergiquement derrière la revendication du maréchal Foch. Il eût trouvé peut-être, dans l’organisation immédiate et définitive des provinces rhénanes, la base la plus solide de l’organisation de la paix. Ce problème, il l’eût abordé franchement. Les arbitres se sont dérobés et ils se sont renformés dans la doctrine des nationalités sans lui faire rendre, d’ailleurs, tout ce qu’elle contenait.

Or cette doctrine ne l’enthousiasmait pas. Il n’y voyait guère qu’une aspiration, un sentiment, — un sentiment obscur et mal défini, instable, précaire, impétueux ; il y trouvait je ne sais quel relent bonapartiste et propagandiste : il voulait une Europe régie le moins possible par l’élément passionnel ; il pensait que la paix et la guerre elle-même doivent être soumises à la raison.

Il eût été heureux de la reconstitution de la Pologne : car l’opération diplomatique qui avait consisté à découper froidement une nation constituée depuis des siècles était, à ses yeux, « le plus grand crime de l’histoire. » Il en rougissait en tant qu’historien, et pensait que c’était une tâche propre à l’idéalisme français de contribuer à le réparer. Il comptait bien que ce serait, un jour, l’un des effets les plus heureux de l’alliance franco-russe.

Il ne voulait pas des Russes à Constantinople et me mettait sans cesse en garde à ce sujet. Il accueillait avec joie la confidence que je lui fis de la déclaration du prince Lobanoff : « Nous n’irons pas à Constantinople. »

Quel règlement entrevoyait-il pour le problème balkanique, pour le problème autrichien ? Je ne sais. De telles questions ne se posaient pas encore dans leur acuité. Il ne croyait pas à la destruction hic et nunc de l’Empire ottoman ; il rappelait la phrase fameuse de Chateaubriand : « C’est un décret de la divine Providence... » L’assaut livré à la vieille Europe par les jeunes Etats des Balkans l’étonnait. Il songeait à mettre dans tout cela un peu d’ordre et de discipline. « Il nous a fallu mille ans pour accomplir notre destinée, disait-il. Ils sont bien pressés ! » Il cherchait les moyens de consolider une Autriche capable de faire contrepoids à l’Allemagne. Peut-être songeait-il à quelque confédération balkanique sous l’égide de la Russie, à quelque confédération