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de la rue de Richelieu et du boulevard actuel des Italiens : — comment traverser Paris avec cette proie, changer de voiture ? Sous la nuit qui tombe, et par les chemins affreux, le nouveau carrosse, escorté par le comte de Miossens (le futur maréchal d’Albret) et une compagnie des gardes, roule dans la direction de Vincennes, verse près de Saint-Antoine-des-Champs, aujourd’hui l’hôpital Saint-Antoine. Trois heures durant, les prisonniers attendent qu’on relève le carrosse. Mais nous ne savons si Conti rompit le silence, s’il eut la tentation de l’évasion possible, facile peut-être. Condé du moins l’eut certainement, engageant avec Miossens, son ancien compagnon d’armes, ce court dialogue : « Miossens, si tu voulais... — Je suis serviteur du Roi. — Je ne vous prie de rien. »

Ce n’est que vers neuf heures du soir que l’on atteignit le donjon de Vincennes. Pour passer la froide nuit d’hiver, une chambre sans lit, voûtée, aux grands murs nus en pierre de taille ! Pas de souper. Le maréchal de Rantzau envoie la moitié du sien. Tandis que les princes s’installaient « au Bois de Vincennes, » leurs gens, qui ne savaient rien encore, et commençaient à s’inquiéter, les attendaient toujours dans la cour du Palais-Royal.


III

Le lendemain matin, 19 janvier 1650, le prince de Conti dut trouver plus lugubre encore que la veille aux flambeaux, la chambre mal éclairée, où il était seul avec son frère. Longueville était enfermé séparément. Mauvais service, mauvaise chère ; des gardes-françaises à la porte du donjon, des gardes du corps dans la chambre ; et bientôt, pour commander la garnison, au lieu de Comminges, un rude maréchal de camp quinquagénaire, chien de garde choisi tout exprès par Mazarin.

Imprudence et faute d’un prisonnier qui s’ennuie ! Le lundi 8 mars, à dix heures du soir, il était couché sur son lit ; et, ne sachant comment distraire son insomnie, il s’amusait à lancer en l’air et à rattraper le pied carré d’un chandelier démontable en argent, lorsque ce lourd ballon improvisé lui est retombé pesamment sur le crâne. Blessure volontaire, si l’on en croit Lenet (mais on n’est pas obligé de le croire), qui raconte l’accident dans ses Mémoires, et faite dans un accès de désespoir.