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BONNAT ET LE PORTRAIT

Un de mes premiers souvenirs de thèse esthétique date du Salon de 1877, où fut exposé le portrait de M. Thiers par Donnat. Dans un milieu où l’on ne se piquait point de thèses transcendantes sur l’Art, mais où l’on avait connu d’assez près le modèle, on louait l’œuvre du peintre déjà connu, en pleine maturité d’âge et de talent, mais presque nouveau dans la peinture de portrait. « C’est tellement vivant, disait-on, qu’à le voir, au Palais de l’Industrie, bloqué par la foule, le bas du tableau caché par les têtes qui se pressent, on croit que M. Thiers est là lui-même debout, dans sa redingote noire, parlant dans un cercle d’auditeurs... » Aujourd’hui, on trouverait ce critérium simpliste et naïf. Depuis longtemps, on ne donne plus à l’Art ce but et on exige autre chose de l’artiste. Ce fut pourtant celui de tous les maîtres du portrait et de leur public aux grandes époques de l’Art. Depuis cette impression de mon enfance, j’ai interrogé les grands esprits de la Renaissance, et ceux qui, au XVIIe siècle, assistaient à l’éclosion des chefs-d’œuvre en Espagne et en Hollande, j’ai feuilleté la plupart des lettres des grands Mécènes, qu’on nous donne toujours en exemple, ceux qui ont suscité, inspiré ou apprécié les plus beaux portraits qu’on ait jamais peints : je n’y ai jamais trouvé d’impressions plus subtiles, ni d’ambitions plus hautes recherchées dans un portrait.

Or, l’autre jour, en apprenant la mort du laborieux vieillard qu’un article secret de la Constitution semblait avoir désigné pour dresser le réquisitoire physiologique de nos chefs d’Etat,