Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/653

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Encore au Salon de 1867, Ribera dessinant à la porte de l’Ara Cœli et Gaby, et à celui de 1869, une Assomption pour l’église de Bayonne y répondaient. Puis brusquement, à partir de 1870, les sujets et les curiosités se modifient. C’était, jusque-là ceux d’Hébert, ce sont dorénavant ceux de Decamps : des fellahs, des cheiks, des barbiers turcs ou nègres. C’est que Donnat, sûr à présent de son avenir, s’est donné des vacances et est allé voyager en Orient, refaire, en réalité, le mystérieux voyage de Decamps. Les amateurs le suivent toujours. Car si ses thèmes ont changé, sa peinture ne change pas.

Mais voici le coup de poing : le Christ en croix pour le Palais de Justice en 1874, et le Job en 1880, le premier visiblement inspiré de Vélasquez, le second de Ribera, mais tous deux avec la griffe de Donnat. Le peintre, entre quarante et cinquante ans, se sentant sûr de son métier, sûr de faire aussi bien quoique autrement que ses aînés directs et ses maîtres immédiats, fait autrement. Il arrive lentement à réaliser sa forme spécifique, comme ces arbres destinés à une longévité peu commune, — mais il y arrive. Le Christ et le Job firent alors, dans les petits cénacles de dilettantes, presque autant de scandale que le Jean Baptiste et la Belle Heaulmière de Rodin, et pour les mêmes raisons. On reprocha au Christ d’accuser toutes les horreurs d’un cadavre vulgaire, ayant été copié d’après un sujet de l’amphithéâtre de l’Ecole de Médecine, ce qui était exact, tout comme on a pu reprocher au Jean Baptiste de Rodin, non pas d’avoir été moulé sur nature, ce qui était faux et absurde, mais bien de reproduire les tares d’un modèle fort connu alors dans les ateliers, en quoi on ne se trompait pas. Quant au Job accroupi sur quatre brins de paille, la tête renversée vers la lumière d’un ciel inexorable, nu, décharné, le ventre flasque, ceinturé de plis hideux, il fait presque aussi horreur que la Belle Heaulmière et l’on croit l’entendre :


Ha ! vieillesse félonne et fière.
Pourquoi m’as sitôt abattue ?


On comprend donc que le réalisme de ces toiles, à cette époque, ait mis les admirateurs de Cabanel et de Bouguereau, d’Hébert et de Chaplin, voire de Baudry, à une rude épreuve. Ce qu’on comprend moins aujourd’hui, c’est que Donnat leur ait fait aussi l’effet d’un « impressionniste. » Pour le bien