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de plus vain que de leur attribuer la formation d’un artiste aussi personnel que celui-ci. Ignorant l’Espagne et uniquement formé à Paris et à Rome, il y aurait trouvé, ne fût-ce qu’en Ribera, en Valentin, en Rembrandt, de quoi déterminer son pinceau et sa facture. Et, Espagnol lui-même, uniquement formé par les musées d’Espagne, il aurait pu faire une tout autre peinture, inspirée du Murillo des Vierges, de Morales, de Pereda ou d’André del Sarte. Pour expliquer un grand artiste, savoir quels exemples il eut sous les yeux dans sa jeunesse ne suffit pas : il faut encore compter avec le coefficient personnel. Tant que les progrès de la science en physiologie ne nous permettront pas de le définir, le mystère subsistera. La recherche des « origines » et des « influences » où nos érudits font tenir toute la formation d’un artiste ne sera jamais qu’un jeu puéril, plus propre à montrer l’ingéniosité des historiens qu’à éclairer le problème.

Quoi qu’il en soit de la cause, l’effet produit sur nombre d’amateurs fut celui d’un coup de poing. Non pas tout de suite. Comme tous les tempéraments forts, le jeune élève de Madrazzo et de Léon Coignet, placé ensuite à Rome sous la férule du bon Schnetz, contint assez longtemps ses instincts de brutalité picturale. Il n’effraya tout d’abord personne. Ses portraits au Salon de 1857, son Bon Samaritain, envoyé de son atelier de la via Sistina. à Rome, au Salon de 1859, sa Mariuccia et son Abel mort en 1861, son Martyre de Saint André et sa Maria Pasqua en 1863, ses Pèlerins aux pieds de la statue de Saint Pierre dans l’église Saint-Pierre de Rome, et son Mezzo baiocco, Eccellenza ! en 1864, son Antigone en 1863 étaient d’une facture vigoureuse, mais dans une gamme de valeurs et de couleurs dont on avait l’habitude. Théophile Gautier le comparait à Murillo. Il collectionnait des médailles, recueillait les suffrages des maîtres, et vendait ses toiles à la famille impériale : à la princesse Mathilde et à l’impératrice Eugénie. Seulement, au Salon de 1866, en même temps que son succès s’affirmait, sa facture choqua un peu. Un critique parle de sa « brosse rude et noire » en regardant son Saint Vincent de Paul prenant la place d’un galérien, et ses Paysans napolitains devant le Palais Farnèse.

Comme on le voit, jusque là ses envois étaient toujours équilibrés de façon à satisfaire le goût qu’on avait alors de la grande composition et celui de l’observation directe qu’il avait lui-même.