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III

C’est une chance pour lui qu’il ne l’ait pas été d’un Roi et d’une Cour. Il lui aurait fallu peindre tous les Princes : des enfants, des femmes, des adolescents fluets et peut-être dégénérés, des Menines, n’importe qui, enfin... Or son pinceau ne rendait pas n’importe qui. Pas plus qu’il n’était le peintre des aspects changeants de l’épiderme dans une poudre de soleil où diluée par la brume, il n’était le peintre des états transitoires de la vie et des aspects changeants de la physionomie : l’indécision de l’adolescence, les traits qui portent en eux une promesse ou une menace, tout ce qui est du devenir. Donnat est le peintre de la vieillesse : de ce qui ne bouge plus, des os saillants sous la peau qui se plisse, se poche, se vide de son contenu, des teints couperosés ou blafards, des rugosités, des nodosités, des sillons et des touffes blanches de cheveux rares, du moment où les artères se durcissent, où les jointures s’ankylosent, où les idées se cristallisent en des formes régulières et définitives, où l’homme en un mot est déjà un peu la statue que l’on fera de lui, où le prophète, Victor Hugo, Renan, se sent devenir Bouddha. Il projetait sur toute cette caducité la lumière crue d’un réflecteur, et une fois la tête, le cerveau rayonnants comme un phare, il plongeait tout le reste dans le deuil d’une redingote.

Et aussi dans le gouffre noir d’un fond nu et irréel, un simple repoussoir, parfois dégradé comme celui d’un photographe. Ce parti pris, qui a déchaîné depuis tant de critiques et soulevé tant de sarcasmes, répondait, — chose presque inintelligible aujourd’hui, — à un désir confus, mais puissant et profond du public le plus intellectuel et le plus raffiné. On était las des fonds historiés, somptueux, héraldiques, des draperies flottantes, des pares étendus à l’arrière-plan d’un portrait, et même des accessoires costume ou meuble rappelant les honneurs, les « hochets de la vanité. » « Nous entrons dans une période de grandeur austère, » avait dit Jules Ferry. Les hommes d’Etat ou de Science ou de Lettres parvenus à la fin de ce XIXe siècle, qui fut par excellence le siècle du travail, avaient la vanité de leur labeur, de leur austérité, presque de leur dénuement. Ils désiraient secrètement ressembler à de durs ouvriers, — les ouvriers de la pensée, — le front raviné par les soucis et les