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veilles, quoique éblouissant par le génie. Concentrer un faisceau de rayons sur la tête et le front, emprisonner le corps dans une redingote quasi monacale, comme Zurbaran ses religieux ou Rembrandt ses anatomistes, rejeter toute la défroque somptuaire des âges de plaisir et de frivolité, — fût-ce au risque parfois de rappeler les sépulcres blanchis de l’Evangile, c’était buriner un trait signalétique des plus grands contemporains.

La facture très particulière, çà et là un peu compliquée, par endroits fort simple, est au total d’une puissance rarement égalée dans l’Ecole française. Presque tout est peint en pleine pâte, avec la sûreté, la brutalité d’un jet de lumière électrique, à grands coups. Après cela, il arrive surtout dans les portraits, qu’un cerne presque imperceptible au moyen d’un pinceau ténu comme un fil, reprend et creuse les contours. Il y a des empâtements, mais seulement dans les lumières : les ombres sont presque toujours obtenues par de simples frottis ou tout au plus par une touche égale et plate comme un glacis. Les modelés sont rendus dans toute leur plénitude avec un minimum de touches telles qu’un maître seul peut en poser. Qu’on regarde les pieds, les jambes et les mains du pauvre Job, par exemple : il n’est guère possible d’être sensible aux joies du métier, sans crier d’admiration à cette puissance de rendu.

Ce n’est pas que le plaisir que donne la peinture de Donnat soit très intime, ni très haut, ni d’une qualité très émouvante. Il n’était pas coloriste : ses bleus, quand par malheur il s’y hasarde, hurlent, ses rouges ne sont guère savoureux, ses autres couleurs du spectre sont glaciales. Il ne voyait bien qu’en blanc et noir. « Je peins à travers une eau-forte de Rembrandt, » disait-il.

Cette facture ne varia jamais. Il n’écoutait guère la critique des jeunes, et n’y voyait nullement le verdict de l’avenir, pour cette raison qu’il avait vu, au cours de sa longue carrière, des jeunes devenir vieux et des théories de l’avenir reléguées dans l’obituaire des grimoires. Il savait fort bien qu’une bonne peinture ne se fait pas en l’accommodant aux théories des petits cénacles, mais en étudiant la nature et le métier. Il savait qu’un artiste ne progresse pas en changeant constamment de voie et en se mettant à la fenêtre pour écouter qui l’on acclame et qui l’on hue, mais en creusant toujours plus avant son propre sillon. Il savait qu’on ne dure point par la nouveauté, mais par la force. La nouveauté passe. Il vient un jour où ce qui fut nouveau ne l’est plus