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REVUE LITTÉRAIRE

SUR LES DANGERS DE LA LITTÉRATURE [1].

En 1675, après avoir entendu le Père Bourdaloue prêcher le carême, le Roi partit pour l’armée sans avoir dit au revoir à Mme de Montespan. Et il dit au Père Bourdaloue : « Mon Père, vous devez être content de moi, Mme de Montespan est à Clagny. — Oui, Sire, répondit le Père ; mais Dieu serait plus satisfait si Clagny était à soixante et dix lieues de Versailles. » Bonne réponse, digne de qui l’a faite ; et Louis Veuillot l’a justement citée à l’honneur de Bourdaloue. Mais il ajoute qu’il ne croit pas que « le héros des libres penseurs, Molière, recevant du Roi la même parole, eût répondu avec le même courage. » Cette remarque de Veuillot me paraît un signe de préoccupation un peu drôle et fâcheuse.

Non, Molière n’aurait pas répondu au Roi comme fît le Père Bourdaloue. C’est aussi que le Roi n’aurait pas annoncé à ce poète comique l’éloignement de sa bien-aimée comme il l’annonçait au prédicateur. Et sans doute n’eût-il pas toléré, de la part du poète, le langage et la liberté convenables au prédicateur. Louis XIV avait bien raison, qui n’aimait pas le désordre et, en somme, ne s’adressait pas indifféremment au poète ou au jésuite pour en obtenir une comédie ou de saintes remontrances.

De nos jours, c’est la mode et l’on se plaît à confondre toutes choses. Littérature et poésie se mêlent de ce qui ne semble pas d’abord leur affaire : leur affaire ne serait-elle pas de nous divertir ? Et il y a de rudes censeurs pour vilipender les écrivains comme Veuillot vilipende Molière. A mon avis, c’est dommage.

Voici M. Jean Carrère, qui vient de publier un volume, d’ailleurs

  1. Les mauvais maîtres, par M. Jean Carrère (Plon).