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France, M. Henry Kingsley Porter, a écrit avec vérité que ces humbles monuments contenaient une grande leçon. C’était un exemple de lenteur et de continuité ; pour ces peuples nouveaux, accrus rapidement sur une terre récente, riches d’avenir et de tous les biens matériels, le spectacle de ces petits édifices pleins d’histoire était une chose digne d’envie. A voir ces formes naïves et pleines de bonhomie, où l’arceau gothique s’enchaîne avec souplesse à l’arcade romane et au pilastre de la Renaissance, le moindre paysan de chez nous prenait une conscience fine et confuse du passé ; il concevait une idée appropriée de la culture ; et, pour l’humanité elle-même, c’était l’exemple le plus clair de la manière dont se développe la civilisation.

Voilà pourquoi de telles ruines sont presque irréparables. On peut relever une gare, une usine, une école : c’est une question d’argent et de convenances pratiques. Mais la destruction d’une église pose un problème plus délicat ; elle comporte la perte d’une chose qui n’était pas seulement matérielle, et qu’on ne saurait remplacer par rien de matériel. C’était du passé conservé, du passé lentement modifié par la vie : on n’imite pas l’œuvre des siècles. Faut-il restaurer ce que la guerre a brutalement brisé ? Peut-être vaut-il mieux laisser la ruine achever de mourir sa mort émouvante, et reconstruire franchement ailleurs et tenter du nouveau, comme on rebâtit un jeune foyer à côté du foyer éteint. La flamme peut jaillir claire encore du fond de notre vieux génie. Il serait beau que ce même sol, qui a déjà tant fait pour l’ornement du monde, poussât de ses entrailles une nouvelle étincelle. Mais on ne récrit pas la page déchirée. Il faut qu’une mélodie nouvelle sorte du même cœur qui avait enfanté l’ancienne mélodie. Nous l’attendons avec espoir et avec sympathie. Mais il se passera longtemps avant que la cadette gagne le charme séculaire que possédait l’ainée. Beaucoup de monuments ne seront jamais reconstruits. Il serait vain de refaire artificiellement une tour de Coucy ou un Mont-Notre-Dame. C’est pourquoi il faut louer le zèle pieux qui a voulu en recueillir au moins l’image. Puissions-nous y puiser, avec le regret des beautés que nous pleurons aujourd’hui, une tendresse plus jalouse pour ce qui nous reste de notre héritage !


PIERRE TROYON.