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sont vrais ou ne le sont pas, sont bienfaisants ou ne le sont pas. Il est beaucoup plus aventureux d’évaluer l’influence d’une poésie. Et la plupart des jugements de M. Jean Carrère me paraissent démesurés.

Chateaubriand ? « Il a été le vrai maitre de la mélancolie moderne, et un mauvais maître par conséquent. » Le par conséquent me fâche : c’est trop de logique ; et nous sommes en train d’analyser des sentiments qui ne se prêtent pas à une dialectique tant rigoureuse. Mais M. Jean Carrère déteste la mélancolie, « mal peu viril, une faiblesse, une tare morale. » Les quelques pages de M. Jean Carrère, touchant la mélancolie, et où interviennent les personnages de la Bible et de l’Antiquité païenne, prouvent la gaieté de M. Jean Carrère et ne le montrent pas très attentif aux sentiments qui ne sont pas les siens.

Que reproche-t-il à Stendhal ? Sa méchanceté : « Il est impossible de concevoir un homme et une œuvre en qui tout concoure de façon plus complète à produire exactement le contraire de la bonté. » Mais l’influence de Stendhal ? « Voyez ce que la création d’un Julien Sorel peut faire de ravages dans les imaginations fortes... Ah ! combien j’en connais de jeunes gens aux âmes généreuses qui en sont demeurés troublés pour toute leur jeunesse, et quelques-uns pour toute leur vie ! Or, si lourd que paraisse le mot, il y a, dans cette corruption voulue des caractères, un véritable crime de la part de Stendhal. » Le crime de Rousseau, qu’on ne lui pardonne pas, est d’avoir cru à la bonté de l’homme. Il nous trompe ! a-t-on dit ; et on le dira encore. Stendhal nous présente la méchanceté de l’homme. Ainsi, le crime de Stendhal corrige le crime de Rousseau. Il faut lire ces deux écrivains : on pourra leur être indulgent.

Le crime de George Sand ? « Elle est formidablement ténébreuse et malsaine, car l’esprit qu’elle synthétise avec tant de force est par lui-même fatalement mauvais : c’est l’esprit féminin ou, pour parler plus net, l’esprit-femelle, par opposition à l’esprit-mâle. » Représentants de l’esprit-mâle : Gœthe, Rabelais et Platon. Mais George Sand « est la plus superbe incarnation de la femme-femelle, la femme traineuse d’ombre, de trouble et de désolation. » Terribles mots, désagréables. M. Jean Carrère s’en aperçoit et, bonnement, craint d’affliger les lectrices de Mme Sand. Il ne déteste pas les femmes ; et il leur dit, pour qu’elles veuillent l’excuser : « S’il m’advient de donner à mes affirmations un ton de rudesse, et de sarcasme à mes discussions, c’est que j’aime la vérité d’une telle ardeur que je voudrais lui imprimer la force rapide et cautérisante d’un glaive de feu. » Les- pages suivantes, relatives au féminisme et puis à l’amour, sont