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( ?), voilà l’influence de ses romans. Et, quand nous étudions un ( ?), avant de le déclarer mauvais ou bon, nous évaluons le dommage ou le bienfait qui résulte de son enseignement. Nous sommes injustes ? A la manière de l’histoire ! Et, en tout cas, nous sommes en plein dans la réalité que façonnent, peut-être involontairement, les bons et les mauvais maîtres. La position que tient ici M. Jean Carrère, je l’avoue, est forte. Il a raison de distinguer les systèmes et le tour que prennent les systèmes en passant des philosophes à la multitude. On a dit souvent que l’histoire était l’histoire des idées ; mais l’histoire serait plutôt l’histoire des contre-sens que font les multitudes sur les idées qu’elles adoptent. Il y a une philosophie sociale de Balzac : M. Paul Bourget l’a exposée parfaitement ; mais ce n’est pas la philosophie sociale de Balzac qui a été persuasive, c’est une fausse interprétation de Balzac et c’est, en quelque sorte, une poésie balzacienne, différente de sa philosophie et très dangereuse.

M. Jean Carrère tire de ce principe, ou d’un principe de ce genre, un corollaire extrêmement ingénieux. On a coutume de signaler comme les plus mauvais maîtres les philosophes dont les doctrines sont au rebours du bon sens, ou de l’ordre public, ou de la prudence gouvernementale. On vous reconstitue les doctrines et l’on vous dit : voyez où de telles idées nous mènent !... M. Jean Carrère observe que les doctrines « trouvent contre elles, pour combattre leur influence, » d’autres doctrines : « Héraclite dit oui, mais Démocrite dit non ; et, si tel sage vous invite à l’inertie et à l’indifférence, tel autre vous démontrera, par syllogisme, la nécessité de la volonté et de l’énergie. » Ce ne sont pas les philosophes, les maîtres les plus dangereux : ce sont les poètes. Leur influence est plus secrète et, pour ainsi dire, plus sournoise, plus difficile à saisir et à combattre. Une idée, on la réfute ; mais, d’un enchantement, que faire ?

M. Jean Carrère s’attaque donc à des poètes ; ou à des prosateurs, mais qui ont inventé, qui ont répandu autour d’eux une poésie ; un philosophe, Rousseau : mais il ne réfute pas les idées, il condamne la poésie de Rousseau. Il ne cherche pas, dans le Contrat social ou dans l’Emile ou dans la Profession de foi du vicaire savoyard, un ensemble d’erreurs : il accuse Rousseau d’avoir donné un air de poésie à des vices du cœur très déplorables.

C’est ingénieux, disais-je ; et c’est d’abord judicieux. Mais voici l’inconvénient. Si l’on nous présente un système d’idées, nous allons, selon nos préférences et puis en consultant les faits, dans la mesure où ce contrôle est possible, décider que ces idées et leur système lié