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dans la Société des nations. Les forces grecques seraient retirées avant l’ouverture de la Conférence sur une ligne à déterminer par les experts militaires ; en revanche, les Turcs n’enverraient pas de troupes dans la zone déclarée provisoirement neutre et ne traverseraient pas les Détroits.

Ainsi l’accord s’est heureusement établi sur les propositions françaises. « C’est un succès pour la politique française, » disait, à la sortie de la séance, un journaliste à M. Poincaré. « Dites : c’est un succès pour la paix, » repartit le Président du Conseil. Les deux sont vrais. Mais tout danger a-t-il disparu ? On en pourrait douter, à lire les déclarations que M. Lloyd George a jugé bon de faire à une réunion de journalistes dans la matinée du 23, comme s’il voulait par avance atténuer les heureux effets de la sagesse de son ministre des Affaires étrangères. On retrouve, dans ce flot de paroles, les thèses essentielles de la note Reuter du 16, avec certaines précisions plus rassurantes : « Nous ne cherchons pas à établir un nouveau Gibraltar britannique ;... nous voulons que la Société des nations puisse garantir la liberté des Détroits dans l’intérêt de toutes les Puissances ;... nous ne désirons pas nous maintenir à Gallipoli ou à Tchanak dans les seuls intérêts de la Grande-Bretagne. » Mais voici la contre-partie : « Il est essentiel, de l’avis de nos conseillers militaires, de conserver Tchanak afin d’assurer la liberté des Détroits aux navires non armés ;... nous ne pouvons évacuer la rive asiatique. » Puis M. Lloyd George rappelle la guerre de 1914, le mal que nous firent les Turcs, les massacres de chrétiens. Plus encore que ses paroles, ses actes sont alarmants. Des forces britanniques, navires de guerre et troupes de terre, de plus en plus considérables se dirigent vers les Détroits. On n’a pas vu souvent, dans l’histoire, les Anglais manquer de prétextes pour maintenir leurs soldats sur un point où ils avaient jugé avantageux de les envoyer.

La question des Détroits apparaît, du moins sur le papier, assez aisée à résoudre : il suffit de distinguer la souveraineté du territoire et le droit de passage des navires. La souveraineté n’est limitée que par l’hypothèque strictement nécessaire au contrôle et à la garantie du droit de passage. Dans la pratique, il est difficile, en cas de complications politiques ou de guerre, d’empêcher le souverain du territoire d’abuser de ses avantages, difficile aussi de ne pas le gêner dans le libre exercice de sa souveraineté, surtout alors que le Détroit est comme la rue principale de sa capitale et baigne le palais même où réside le Sultan et le siège de son parlement. La Société des