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prolonge de la plus forte pensée de l’autre siècle ; le dernier salon français, peut-être, où les hommes et les idées pussent se rencontrer dans l’atmosphère qui favorise ces rencontres. Pour les intimes, c’est la perte du conseiller sûr, de l’aide toujours prête, de l’amitié toujours en éveil. Et pour vous, ma pauvre amie, c’est la perte d’une mère rare et supérieure dans sa fonction maternelle comme dans tout ce à quoi elle se donnait...

Je compatis à votre douleur ; mais j’envie dans une certaine mesure l’adoucissement qu’elle a trouvé dans le dernier adieu : même pour un ami qui n’est pas frappé comme les enfants de la chair, il est bien dur de n’avoir pas dit cet adieu à ceux qui avaient pris une grande place dans notre vie. J’ai expédié votre télégramme à ma femme, déjà établie à Schlangenbad où je vais la rejoindre dans quelques jours : je sais que son affliction sera comme la mienne vive et sincère. Je vous quitte pour aller redire hâtivement dans notre vieille maison des Débats que le roc de Chère engloutit encore une de ces vies qui étaient la force et la parure de notre pays[1]... En m’unissant à votre affliction, chère amie, je vous demande de me continuer, comme le faisait votre mère, ce legs de la bienveillance paternelle qui fut une joie et un honneur dans ma vie. J’en remets avec confiance le dépôt dans vos mains.


A la même.


12 février 1906.

Chère madame et amie,

Je sais qu’il faut accorder les yeux fermés estime et sympathie à tous ceux qui portent le nom de Mangin. J’ai beaucoup pratiqué l’ainé [2] de cette vaillante lignée de frères ; j’écris au capitaine [3] qu’il me fera grand honneur et grand plaisir en venant me voir.

Une grippe tenace m’emprisonne au coin du feu : je ne sais quand je pourrai aller vous remercier de vive voix pour vos félicitations et vos vœux amicaux. Veuillez me croire, chère madame et amie, votre bien fidèlement dévoué.

  1. Voyez, dans le Journal des Débats du 22 juillet 1905, l’article intitulé : Madame Taine
  2. Tué peu après en Afrique.
  3. Aujourd’hui général Mangin.