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de l’octroi. L’ennuyeux serait que ces fuyards dont on nous menace se missent à arriver, car, alors, Pékin resterait clos et rien ne desserrerait cette contraction de la peur. Justement en voici un, deux, trois, d’une pauvre mine, à la vérité, las, défaits, ayant encore un brassard aux couleurs de leur général. Ils entrent dans le poste, échangent quelques mots avec les soldats de la porte, sans se marquer d’aversion ni d’amitié. On dirait plutôt une de ces rencontres prudentes d’insectes, quand ceux-ci ne font que se tâter du bout de leurs antennes. Ces soldats, comme nous, voudraient rentrer dans cette ville où leurs chefs étaient les maîtres il y a quelques jours et qui refuse à présent de les recevoir. Quant à nous, nous attendons, la chaleur augmente ; l’employé-bibelot lui-même s’est tu. Voici encore deux ou trois fuyards. Enfin un ordre arrive : grâce à l’entremise de notre légation, il parait qu’on va vraiment nous ouvrir. Des appels viennent de l’autre côté de la porte. On entend un puissant bruit de chaînes et un grincement de verrous qui feraient merveille dans un mélodrame. Enfin l’un des vantaux énormes s’ébranle, nos autos pénètrent dans la demi-lune du bastion, tandis qu’un cordon de soldats barre le passage derrière nous. La seconde porte s’entr’ouvre ensuite ; l’immense enceinte nous avale ; nous sommes rentrés.

Pendant des semaines, Pékin reste ainsi claquemuré, de peur d’une invasion, d’un pillage. On raconte pendant ce temps comment la défection d’une division a changé le sort du combat, comment un général du parti vaincu a lancé, pour s’enfuir plus vite, le train qui l’emportait, sur ses propres troupes. Pourtant, comme il faut nourrir la ville, quelques-unes de ses portes s’entrebâillent à la fin du jour, et alors les bons campagnards entrent à la hâte, chargés de paniers, de légumes verts. Ces jours d’inertie et d’inquiétude sont les plus chauds de l’année, et la chaleur, paraît-il, dépasse encore ce qu’elle est d’ordinaire. L’enceinte fermée y ajoute on ne sait quelle idée d’étouffement. Il ne tombe pas une goutte d’eau. Parfois une lointaine caravane de nuages apparaît, mais, au-dessus de ces pays envieux, elle s’en va lentement, en emportant son eau comme un trésor. D’autres jours souffle un vent suffocant, qui élève des fantômes de poussière si hauts que la lumière en est offusquée. Alors on se renferme du mieux qu’on peut. Seuls quelques pauvres tireurs de pousses continuent leur trot machinal. Ceux qu’ils