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l’Empire. Les cent familles étaient heureuses. Le phénix mâle et le phénix femelle venaient se poser sur les toits du palais.

Toutes ces vastes civilisations de l’Asie antique nous imposent pareillement par leur façon impassible d’aplanir et de diviser les masses humaines qui leur servent d’assises. Mais nulle part le pouvoir de l’idée centrale n’est si grand que dans l’ancienne Chine. La règle n’y contient pas seulement les inférieurs. Elle s’élève jusqu’à l’Empereur, elle le soumet, lui aussi, et il n’est que l’emblème exposé à tous des obligations et des rites auxquels chacun doit s’astreindre. Rien ne limitait le faste délirant des rois d’Assyrie ; mais l’Empereur, en Chine, emportait comme des épines, dans l’appareil même de sa gloire, quelques détails destinés à le rappeler à sa simplicité. Sur son char de cérémonie, les nattes étaient de jonc ordinaire. Sa guitare aux cordes rouges était trouée à dessein, pour que la rudesse des sons vexât l’oreille et l’empêchât de s’habituer à de trop molles harmonies. Dans ce besoin de se morigéner, on reconnaît l’esprit de privation d’une société agricole, et ainsi, dès l’ouverture des âges, nous apparaît l’édifiante, l’imposante médiocrité chinoise. Mais un autre trait marque cette première Chine : c’est la louange particulière donnée aux Empereurs inactifs, à ceux qui gouvernaient mieux l’Empire par leur immobilité centrale qu’ils n’auraient pu le faire au prix de beaucoup d’efforts. Sans doute l’Asie n’a jamais cru à l’action, elle l’a humiliée aux pieds de la spéculation et du rêve. Mais il appartenait au génie chinois, moins désintéressé et plus positif, d’implanter l’inaction dans l’action même, d’en garantir l’excellence, d’y voir un moyen efficace d’influence et de pouvoir. Ainsi se faisait le grand partage. La religion, la pensée pure et la poésie s’épanchaient d’ailleurs, de l’Inde inventive qui nourrit les âmes. Mais, comme Rome en Occident, la Chine étonnait les peuples par la solidité de son aplomb et la fermeté de son ordonnance, elle s’imposait à eux par sa majesté politique. Depuis les premiers jours de l’histoire jusqu’au siècle où nous vivons, son Empereur immobile a été pour les nations qui l’apercevaient le type auguste de sa puissance.


La crise politique qui vient d’agiter la Chine du Nord est pour le moment conjurée. Comme on remet en ordre des