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meubles dérangés par une querelle, ainsi l’on a rétabli l’appareil fictif qui recouvre ici l’anarchie. Toan et son parti ayant succombé, le Président de la République a désavoué les mesures qu’il avait prises sur leur injonction. Il s’est, comme les Empereurs, accusé dans un document public et chargé de toutes les fautes, sans pour cela se démettre. Les ministres de l’ancien Gouvernement ayant été décrétés d’accusation, on les recherche et leurs photographies sont affichées à tous les carrefours, ce qui me vaut de revoir ainsi, mis au pilori, en grand habit et couverts d’ordres, la plupart des personnages avec qui j’ai eu l’honneur de dîner à mon arrivée. Tout le monde, du reste, sait qu’ils sont réfugiés à la légation japonaise. Pour le cas où ils voudraient s’en échapper bien ostensiblement et se faire prendre de bonne grâce, on a placé une garde à chaque porte du quartier des Légations. Ainsi les apparences sont sauves, et ils s’échapperont en fait quand il leur plaira. Cependant Tchang-So-Lin, le puissant général qui règne à Moukden, sans avoir pris part à la guerre, s’est saisi de la victoire. Il a près de trois cent mille hommes de troupes, certaines bien entretenues, et pourvu qu’il s’entende avec les Japonais, il est le maître de faire bien des choses. C’est, dit-on, un ancien brigand, qui n’en serait pas moins de bonne origine, car, sa famille ayant été exilée en Mandchourie à la fin de l’Empire, et étant tombée dans la dernière misère, ce serait pour la secourir qu’il aurait fait choix de cette profession décriée. Certains, parmi les étrangers, vantent son audace et sa décision, d’autres assurent qu’il n’obéit qu’à l’intérêt le plus grossier.

Tchang-So-Lin arrive aujourd’hui à Pékin : je suis venu voir son entrée. Le ciel est gris, le pavillon à cinq bandes flotte sur les édifices publics ; la porte de la ville impériale, qui fut brûlée par les Boxeurs et restaurée depuis, surgit, avec ses toits cornus, comme un énorme taureau, sur la base qui l’isole entre les deux gares. Devant celle où doit arriver le général, on a dressé un petit arc de triomphe aux couleurs tendres, minutieux et mignard comme un ouvrage de vieille fille. Sur le trottoir, les soldats de police, d’un mot guttural, enjoignent au peuple de passer vite et bientôt le vide se fait ; les soldats rangés portent, épinglée sur leur tunique, une fleur de papier avec une banderole. Des cavaliers ont mis pied à terre, près de leurs montures mongoles, que dépassent quelques grands chevaux du Turkestan.