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peine, ainsi que des voiles, les pans des fastueux parasols, où l’on voit alors, comme des oiseaux qui se posent, les dragons et les phénix se replier sur les grosses pivoines vineuses. Des figurants se grattent, d’autres fument une cigarette ; ce sont les gueux les plus sales de Pékin et l’on n’a rien fait pour leur donner un air présentable. Ce qui manque le plus aux cérémonies de l’Asie, c’est cet apprêt bourgeois qu’on voit dans les nôtres : il y règne, au contraire, plus de pompe que de soin, un mélange d’apparat et de négligence, de faste et de guenille, qui a sa grandeur. Le gong retentit de nouveau, le cortège se remet en branle. On entend maintenant des mugissements, et bientôt l’on voit avancer des hommes qui soufflent par moments dans de longues trompes de bois, tandis que d’autres heurtent des tambours, dont les tabliers brodés pendent sur leurs pantalons en loques ; puis vient une charrette chinoise, tendue de rouge et de vert, puis une chaise fleurie où trônent la tablette et le portrait du défunt, mais, par une innovation qui atteint la cérémonie en plein cœur, ce n’est plus, au lieu d’une peinture comme autrefois, qu’un agrandissement photographique : un orchestre, ensuite, secoue ses sonnailles, puis apparaît un parasol particulièrement magnifique, qui accable de sa gloire les trois porteurs à mine de singe occupés à le soutenir.

Maintenant les figurants sont en blanc, comme pour annoncer le progrès du deuil ; des bandes de toile couvertes de caractères flottent au vent ; des enfants s’écoulent d’un pas plus pressé, en portant des coffrets, des vases ; des prêtres marchent derrière eux, en robes de toile grise ; un groupe d’hommes les suit à pas lents, un chrysanthème de papier blanc épingle sur la poitrine : c’est la famille. Plusieurs sont coiffés de chapeaux mous à l’européenne, mais les parents proches ont observé tous les rites. Ils sont chaussés de bottes blanches, coiffés de bandeaux blancs aux houppes de laine, vêtus d’une toile blanche qu’ils portent non bordée et même tachée, pour témoigner de l’égarement où les a jetés la douleur. Le principal, un homme long et maigre, s’appuie au bâton rituel, qui doit être en bois de coudrier, et qui est recouvert de papier blanc. Deux autres le soutiennent sous les aisselles ; quelque bruit qu’on fasse dans la rue, il ne relève pas la tête, il ne détourne pas les yeux, et, par moments, il pousse la convenance jusqu’à feindre de s’évanouir. Derrière lui, un homme heurte une cliquette de bois et parmi