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25 juin. — J’étais sur le rivage quand l’Empereur s’embarqua pour rejoindre l’empereur Alexandre, et j’y restai jusqu’à son retour. Ce spectacle était si extraordinaire, si merveilleux qu’il méritait bien tout l’intérêt qu’on y attachait.

26 juin. — D’après les conventions arrêtées la veille sur le radeau, l’empereur Alexandre devait venir habiter Tilsitt avec sa suite et 800 hommes de sa garde. La ville fut déclarée neutre et partagée en partie française et en partie russe. Il nous fut défendu d’entrer, même sans armes, dans le quartier habité par l’empereur de toutes les Russies. Cependant, plus tard il fut permis de le traverser pour nous rendre à notre faubourg qui se trouvait dans cette direction, mais en tenue de promenade.

Ce 26 juin, nous primes les armes à midi et fûmes nous former en bataille dans la belle et large rue où habitait Napoléon : l’infanterie était à droite et la cavalerie à gauche. A un signal convenu, Napoléon se rendit sur le bord du Niémen pour recevoir Alexandre et le conduire à son logement.

Peu de temps après, ces deux grands souverains arrivèrent, précédés et suivis d’un immense et superbe état-major, ayant échangé leurs cordons et se tenant par la main comme de bons amis. Après avoir passé devant le front des troupes, les deux Empereurs se placèrent au pied de l’escalier de l’empereur Napoléon, et nous défilâmes devant eux.

Une fois le défilé terminé, nous rentrâmes dans nos bivouacs, et l’empereur Alexandre fut reconduit chez lui avec le même cérémonial.

27 juin. — Grandes manœuvres et exercices à feu de toute la garde impériale, sur les hauteurs de Tilsitt, devant Leurs Majestés Impériales. Napoléon tenait beaucoup à ce que sa Garde justifiât la haute renommée qu’elle s’était acquise, car dans les feux, il passait derrière les rangs pour exciter les soldats à tirer vite, et dans les marches, pour les exciter à marcher serrés et bien alignés. De la voix, du geste, du regard, il nous pressait et nous encourageait. De son côté, l’empereur Alexandre était bien aise de voir de près ces hommes qui, soit qu’ils chargeassent sur sa cavalerie, soit qu’ils marchassent sur son infanterie, suffisaient par leur seule présence pour les arrêter ou les contenir. Il arriva un moment qu’il s’était placé devant nos feux. Napoléon fut le prendre par la main, et le retira de là en lui disant : « Une maladresse pourrait causer un grand malheur. » Alexandre