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grande bataille. Après avoir rallié tous mes voltigeurs, je marchai sur le village de Klein-Possna, occupé par des Autrichiens et des Cosaques qui se retirèrent après une fusillade de moins d’un quart d’heure. Enhardi par ce succès, je dépassai le village à la suite de ceux que je venais d’en faire sortir, et vis de l’autre côté. sur la lisière d’un bois, pas mal d’ennemis. Je fus obligé de m’arrêter et de me tenir sur la défensive. Je fis alors fouiller le village par quelques hommes pour faire des vivres, et j’attendis la nuit qui approchait pour me retirer.

Mes hommes rentrés, je marchai par ma droite vers le point où l’on se battait et m’installai à l’entrée du village, dans un pré clos de haies à l’embranchement de deux chemins. J’avais choisi ce lieu parce qu’il me mettait à l’abri d’une surprise de nuit et je pensais que le bataillon viendrait peut-être dans cette direction. Depuis le matin je ne savais pas où il pouvait être. J’avais combattu toute la journée isolément et pour mon compte, sans avoir vu un seul chef. Avant que la nuit fût tout à fait venue, le général de division Gérard, du 15e corps, vint à mon bivouac. Je lui rendis compte de ce que j’avais fait, et des motifs qui m’avaient fait prendre cette position. Il me dit que j’avais bien fait et me dit d’y rester. Je lui demandai ensuite des nouvelles du résultat de la bataille. Il me répondit : « Vous voyez que nous sommes vainqueurs ici, je ne sais pas ce qui se passe ailleurs. »

Cette journée m’avait coûté huit hommes blessés dont un officier ; je fondais tous les jours.

La nuit venue, la cavalerie de cette partie de l’armée vint occuper le village que j’avais pris. Quelques heures après, lorsque le calme le plus parfait semblait régner dans les deux armées, une vive canonnade se fit entendre et porta l’effroi chez des hommes livrés au bienfaisant sommeil, et se reposant avec douceur des dures fatigues de la journée. Brusquement éveillés par le bruit et par un obus qui me brisa trois fusils, les hommes, transis de froid et sous le coup d’une impression aussi inattendue, coururent à leurs armes. De son côté, la cavalerie en fit autant, on sorte que cette nuit que l’on avait tant désirée se passa dans les alarmes et les dangers. Cela n’eut pas de suites, mais les hommes et les chevaux avaient perdu ce sommeil réparateur si nécessaire dans de semblables circonstances. C’était sans aucun doute un déserteur ou un prisonnier de guerre d’un esprit