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quelques actes d’indiscipline de cette nature, vu la faiblesse de leurs estomacs... Cette considération me fit ranger à leur opinion. Mais comme je savais que notre excellent chef, le major Fabre, n’avait pas l’estomac plus garni que nous, je l’invitai à venir en prendre sa part. Celui-ci me fit observer que le général Joubert se mourait de faim. Je fus l’engager à manger une aile de volaille qu’il accepta de grand cœur. Mais en pensant au plaisir qu’il allait avoir, il se rappela tout à coup que le général de division Lagrange, commandant le reste des trois divisions du corps d’armée, n’avait rien non plus pour déjeuner ; il me dit d’être bon prince à son égard et de l’inviter à en prendre sa part. Ainsi nous étions six affamés autour d’une pauvre pièce qui n’aurait pas suffi à un seul pour apaiser sa faim dévorante.

Des troupes encore en arrière étant arrivées pour nous relever, nous partîmes à midi pour Francfort. (Un peu plus tard, nous aurions assisté à une seconde bataille qui commença peu de temps après notre départ. Cette nouvelle attaque, très chaude, mais moins meurtrière que celle de la veille, n’eut pas plus de résultat. Les Bavarois furent refoulés dans la ville ou jetés dans la Kinzig.) Notre marche sur Francfort fut difficile. La route encombrée de traînards, de blessés, de malades, de voitures de toute espèce, horriblement mauvaise par suite du dégel, de la pluie et de la fonte des neiges, était peu favorable à un prompt écoulement. Il était nuit quand nous prîmes possession du terrain sur lequel nous devions bivouaquer. Nous étions dans des vignes situées autour et au-dessus de Francfort, dans la boue jusqu’aux genoux, sans feu, sans paille, sans abri et une pluie battante sur le corps. Quelle affreuse nuit ! Quelle faim !

2 novembre. — Au bivouac autour de Höchst, petite ville au duc de Nassau, où je passais pour la quatrième fois. Il y eut beaucoup de désordre au passage du pont de la Nidda, rivière qui coule près de cette ville. Cette nuit lut moins désagréable que la précédente. Nous eûmes au moins un abri, des vivres et surtout de l’excellent vin du Rhin pour nous réchauffer et nous réconforter.

2 novembre. — Enfin, après dix-sept jours de fatigues,, de combats, de privations de tout genre, d’émotions et de dangers de toute nature, nous atteignions les bords tant désirés du Rhin, de ce majestueux fleuve qui devait, au moins pour quelques