Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/844

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se rappelleront longtemps la leçon qu’ils reçurent dans cette chaude journée. Leurs pertes furent considérables, mais comme ils occupaient la place forte de Hanau, qu’ils n’évacuèrent que dans la nuit, et les rives gauches du Main et de la Kinzig, on ne jugea pas prudent de les poursuivre. Du reste, la nuit était close quand la victoire fut complète.

31 octobre. — Nous restâmes jusqu’à midi sur le champ de bataille, que nous quittâmes pour continuer notre mouvement sur Francfort. On se battit toute la matinée à coups de canon d’une rive à l’autre de la Kinzig. Dans un moment de relâche où la troupe n’était pas sous les armes, je me chauffais près d’un feu de bivouac où je faisais cuire quelques pommes de terre, et en attendant, je lisais un journal que j’avais trouvé sur le champ de bataille : un boulet vint me tirer des réflexions que cette lecture faisait naître et m’enlever le frugal déjeuner que je convoitais avec une espèce de sensualité. Ce maudit boulet, après avoir emporté la tête d’un chef de bataillon d’artillerie de marine qui était appuyé contre un arbre, tenant son cheval par la bride, vint ricocher au milieu de mon feu, m’enleva mes pommes de terre et me couvrit de charbons ardents et de cendres. Un voltigeur qui se trouvait en face de moi eut le même désagrément et le même bonheur. Ce fut un coup bien heureux pour nous, car si nous avions été placés différemment l’un et l’autre, nous étions coupés en deux.

L’effet de ce boulet donna lieu à une discussion et à un incident bizarres. Le commandant mort, le cheval effrayé se sauva dans le bois où nous nous trouvions et, épouvanté de nouveau par quelques boulets qui sifflèrent à ses oreilles, on eut mille maux pour l’attraper. Le soldat qui le prit prétendit que c’était sa propriété, que tout ce qu’on prenait sur un champ de bataille était de bonne prise. Les officiers du corps se réunirent immédiatement sous la présidence du général de brigade pour décider de cette grave question, qui fut tranchée, après des divergences d’opinion, en faveur des héritiers du commandant.

Pendant qu’on délibérait sous la volée des pièces de canon de nos ex-alliés, mon premier clairon, qui me manquait depuis trois jours, rentra à la compagnie, m’apportant une volaille cuite et un pain pour faire excuser son absence. Je ne voulus pas l’accepter, mais mes officiers, qui n’avaient pas autant de motifs d’être sévères, m’engagèrent à fermer les yeux sur