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cette route de douleur, il n’était pas surprenant que nous fussions avides de repos. Pendant les cinq jours que le bataillon resta dans le village, je ne pus parvenir à apaiser ma faim, malgré les cinq ou six repas que je faisais par jour, légers à la vérité pour ne pas tomber malade, mais assez copieux cependant pour satisfaire deux ou trois hommes en temps ordinaire

Ensuite à Oppenheim, je fus logé chez un propriétaire aisé, grand amateur des vins de son pays qu’il mettait bien au-dessus des meilleurs crus de Bordeaux, Aussi m’en faisait-il boire d’excellent à tous les repas, car je mangeais chez lui pour lui être agréable, me l’ayant demandé avec instance. Pour que ses vieux vins ne perdissent pas de leur qualité, il faisait rincer les verres avec du vin ordinaire. Cet excellent homme, père d’une nombreuse et aimable famille, descendait d’une famille française expatriée pour cause de religion lors de la révocation de l’Edit de Nantes. Il était Français de cœur, et se proposait de quitter le pays, s’il redevenait allemand.

Envoyés à Oppenheim pour surveiller les bords du Rhin, nous y restâmes jusqu’au 28 décembre, puis je rentrai à Mayence.


SIÈGE DE MAYENCE

C’est à Mayence que Barrès et ses camarades, placés dans la 51e division d’infanterie sous les ordres du général baron Semélé, reçoivent leur nouveau chef de bataillon, le comte Durocheret, « officier distingué, brave, fier, mais hautain. » À Oggersheim, Barrès arrive en même temps qu’un détachement de cent hommes, commandé par un capitaine de ses amis, et chargé d’aller tenir garnison dans une redoute élevée en face de Mannheim, pour défendre à tout prix le passage du Rhin Le 1er janvier 1814, un peu avant le jour, la redoute est attaquée. Menacés d’être coupés par l’armée prussienne qui passe le fleuve sous les ordres de Blücher, talonnés par la cavalerie russe, Barrès et ses voltigeurs n’ont que le temps de rejoindre Mayence et de s’y enfermer.

Le blocus commença le 4 janvier et ne finit que le 4 mai.

Les deux bataillons du régiment furent laissés dans le faubourg de la Weisnau pour le défendre et faire le service de cette partie de la ville. C’est un faubourg sur la route d’Oppenheim, le long du Rhin au-dessous d’une espèce de camp retranché dont nous avions la garde. Le service était rigoureux, surtout les