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prise était escomptée d’avance, révélèrent aux plus aveugles les desseins de l’Allemagne. Victorieuse, elle n’eût rendu ni Anvers, ni Zeebrugge, ni Calais, ni Dunkerque, ni Boulogne. La minutie avec laquelle, avant 1914, la marine allemande avait organisé les escales de ses paquebots à Boulogne aurait suffi à dénoncer les arrière-pensées de l’Amirauté.

Durant les cinquante et un mois que se prolongea la guerre, les techniciens allemands, à l’arrière du front, chez eux, chez les Belges et chez nous, préparèrent patiemment le grand travail, tout comme s’ils se jugeaient vainqueurs. Et, en fait, si l’armistice avait été signé à notre détriment, on peut être assuré que les travaux eussent été commencés sans délais, avec, comme première mise de fonds, les sommes extorquées immédiatement aux Alliés vaincus.

Mais l’armistice fut sollicité par les Allemands qu’il sauva du désastre militaire final : c’était la défaite. Il ne pouvait plus être question de demander aux Alliés leur argent, ni d’occuper Anvers ou Dunkerque. Le vaste rêve du Mittel-Europa, bouleversé d’outre en outre, s’écroulait. Et en même temps que les Allemands perdaient Anvers et Dunkerque, ils voyaient disparaître, à l’autre extrémité de la carte d’Europe, Trieste devenu italien, Salonique demeuré grec, mais passé aux Alliés, Constantinople occupé par les vainqueurs, et Constantza libéré de l’emprise germanique, cependant que le chemin de fer de Bagdad changeait de maîtres.

Cet immense écroulement eût dû arrêter, semble-t-il, tous les projets allemands.

Il n’en est absolument rien.

L’Allemagne républicaine a simplement adapté aux circonstances moins favorables le plan que l’Allemagne impériale avait échafaudé en utilisant des conditions excellentes et en escomptant des possibilités de victoire universelle. Les moyens d’action ont changé, les tracés sur la carte ont subi des modifications ; mais l’esprit directeur est resté le même, et le rêve germanique sur la navigation intérieure est demeuré identique à lui-même.

Rêve est même un terme très inexact en la circonstance, car, à vrai dire, ce n’est plus un rêve : les réalisations partielles sont commencées.

L’Allemagne qui, si haut, se déclare ruinée, l’Allemagne qui se prétend dans l’absolue impossibilité de réparer les maux