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plâtres refroidis où les contemporains crurent recevoir, comme Stendhal, Lamartine et Chateaubriand, la révélation d’une Beauté nouvelle.

Sans nous attarder aux pullulantes anecdotes, quelques mots suffiront à rappeler les origines et la formation de Canova [1]. Comme beaucoup d’autres grands sculpteurs italiens depuis le Quattrocento, il naquit dans un pays de carrières. Ses ascendants, de père en fils, étaient occupés à l’exploitation de cette belle pierre de Possagno, recherchée par les statuaires comme par les architectes. L’enfant y grandit, on pourrait dire à pied d’œuvre. A cinq ans, ses amusements étaient déjà professionnels. il maniait comme d’instinct la masse et le ciseau et c’est ainsi qu’il acquit cette extraordinaire habileté de praticien qu’on admirait chez lui et dont quelques-uns de ses détracteurs voulurent même lui faire grief. Ils lui concédaient d’être un étonnant « tailleur de pierres, » mais prétendaient limiter son génie à cette spécialité mécanique. Notons d’ailleurs que la doctrine et l’esthétique qui allaient, dès ses débuts, s’imposer à lui, devaient le mettre sévèrement en garde contre ces dangereuses prouesses « del martello » qui, ont été chantées par Michel-Ange dans un sonnet célèbre, et où s’exalta jusqu’à l’ivresse le cavalier Bernin... Mais Bernin était déjà voué aux gémonies par les pontifes de la nouvelle école qui allaient veiller sur le génie de Canova.

De sa vocation précoce, il donna dès son enfance des gages,

  1. Pour l’histoire de la vie et de l’œuvre de Canova, dont la « littérature » garnirait plusieurs rayons d’une ample bibliothèque, nous nous bornerons à rappeler ici : d’abord la Biographia d’Antonio Canova (Venezia, 1823, publiée au lendemain de sa mort par le comte Cicognara, l’implacable théoricien de la Storia della Scultura, réfuté chez nous par Émeric David ; Melchior Missirini, Della vita di Antonio Canova libri quattro (Prato, 1824) ; Quatremère de Quincy, de l’Institut royal de France (Académie des inscriptions et belles-lettres), secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts : Canova et ses ouvrages ou mémoires historiques sur la vie et les travaux du célèbre artiste (Paris, 1834, in-8o). C’est un document capital dont nous ferons grand usage, moins pour la connaissance intrinsèque de l’œuvre de Canova que pour l’histoire des idées qui influencèrent cette œuvre. Rien ne saurait mieux révéler ce qui se passa dans l’esprit et la conscience des artistes quand, à la fin du XVIIIe siècle et dans les premières années du XIXe, ils virent se dresser devant eux une esthétique élaborée par des archéologues métaphysiciens. On consultera utilement sur cette crise l’excellente thèse de M. B. Schneider : Quatremère de Quincy et son intervention dans les arts. Paris, 1910). Enfin, en 1911, a paru à Milan un gros livre de M. Vittorio Malamani. C’est l’ouvrage le plus complet qui ait été consacré à la personne et à l’œuvre du statuaire : Canova. Grand in-4o Milan. Hœpli, éditeur.