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de la génération qui touche alors à la vieillesse, celle dont Piron avait célébré en Guillaume Coustou, l’art charmant


de donner à la pierre
Et l’esprit et le mouvement.


Mais c’était justement celle qui représentait, aux yeux des nouveaux docteurs, le dangereux « goût français. » Depuis une dizaine d’années, l’Allemand Raphaël Mengs, disciple et continuateur de Winckelmann, avait inauguré à l’Ecole palatine, sous les auspices du Vatican, un cours contre le goût français et, en France même, c’est de ce mot pris dans le sens le plus péjoratif que Mariette se servait contre les œuvres de Jean-Baptiste Lemoyne. Quatremère a adopté et aggravé toutes ces idées ; il en sera désormais l’intransigeant exégète, le propagateur acharné. Dans ces œuvres juvéniles, — devant lesquelles on se prend aujourd’hui à rêver d’un Canova, né un demi-siècle plus tôt, s’épanouissant librement et logiquement dans le sens de ses dons naturels et de ses plus intimes prédilections, — tout ce qui témoigne d’une invention primesautière suffit à mettre les théoriciens en défiance et les hérisse d’objections et de remontrances... Et bientôt, quand l’Institut « réformé » par la Convention, puis l’Académie impériale des Beaux-Arts auront définitivement remplacé la bonne vieille Académie royale de peinture et sculpture, tout ce qui relevait de ce « goût français » (la chapelle de Versailles, l’hôtel Soubise, l’œuvre des Adam, des Slodtz, des Lemoyne, des Coustou, des Watteau, des Boucher) sera frappé d’interdit, décrété de « pire décadence » et, au nom des principes du Beau idéal, absolu, dont on croit posséder désormais la recette ne varietur, voué aux « galetas de la brocante. »

Pour sauver Canova de ce danger mortel qu’il ignorait encore, il était urgent de l’arracher au milieu vénitien, « Il est bien reconnu, professe Quatremère de Quincy, que les Géorgien (sic), les Tintoret, les Titien, les Paul Véronèse..., n’auraient pu, comme ils ne pourraient encore, soit en dessin, soit en composition, soit en beauté de formes historiques ou idéales, présenter des modèles... propres à former, à inspirer ou à guider un sculpteur... » Il importe de noter ici qu’un goût naturel inclinait Canova vers la peinture presque autant que vers la sculpture. Il s’est représenté lui-même la palette à la main,