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prit immédiatement sous sa tutelle son jeune compatriote et s’occupa de le « lancer. » Il organisa, à cet effet, à l’ambassade même, une exposition de son œuvre… Il suffisait à cette heure d’un local beaucoup plus petit que le temple de Possagno ! On fit venir en hâte de Venise le groupe de Dédale et Icare, qui avait été, on peut dire, la dernière œuvre « spontanée » de Canova. Entre son idée et sa réalisation, entre le thème initial et les sollicitations de la matière et de l’outil, n’était venu s’interposer ou se superposer encore aucune préoccupation intimidante d’un certain modèle, d’un Beau absolu suggéré par les théoriciens. Le vieux Dédale, ficelant, avec des précautions minutieuses autant qu’imprudentes, la première aile à l’épaule droite de son fils, l’attention un peu inquiète avec laquelle Icare suit cette opération, le contraste du corps ridé du vieillard et de la jeunesse triomphante de l’éphèbe, proposaient au jeune sculpteur des « motifs » dont il n’avait rien laissé se perdre. La « nature, » la simple nature délicatement consultée, y gardait son accent.

Mais, depuis quelque temps, avant même sa première rencontre avec Quatremère de Quincy, Canova avait commencé d’ouvrir les oreilles aux leçons des « antiquisants. » Gavin Hamilton, rencontré chez le comte Zulian, l’avait dûment chapitré et, dans un groupe nouveau, qu’il se hâtait d’achever pour son exposition, il voulait montrer qu’il n’avait pas regardé en vain les antiques. C’était un Thésée vainqueur assis sur la dépouille du Minotaure. Il y mit à profit, dans la simplification des formes plus massées et dans la tête du Thésée, ce qu’avaient pu lui apprendre certains bronzes de Naples.

Tout Rome courut à cette exposition, patronnée par l’ambassadeur vénitien. On voudrait pouvoir, aidé de sûrs témoignages contemporains, se mêler rétrospectivement à ce public par un effort d’imagination et de sympathie critique, surprendre les propos et commentaires contradictoires des visiteurs, à ce moment si curieux du conflit des idées et de l’évolution du goût. Il n’est pas impossible d’en recueillir au moins quelques échos, ne fût-ce que dans la Raccolta di lettere sulla pittura, scultura, etc., (Milan 1822) de Ticozzi, le continuateur de Bottari. Le sénateur Falier par exemple, à qui Canova n’avait pas manqué de soumettre une maquette du groupe projeté, lui fait observer que le corps du Minotaure était certainement poilu ; que Thésée d’après Ovide était armé d’une massue et non pas