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d’une épée. Canova tint compte de cette remarque ; mais il se refusa à faire disparaître sous une toison la beauté de ses modelés. Tout au plus accorda-t-il une longue touffe de poils sous l’aisselle du monstre !

Le plus intéressant propos arrivé jusqu’à nous, — confirmé par plusieurs témoignages contemporains, — et qui précise en un vif raccourci le point aigu du conflit entre les deux générations et les deux « écoles, » est le dialogue échangé entre le vieux peintre français, Louis Lagrenée, alors directeur de l’Académie de France à Rome, et Canova lui-même. Lagrenée, toujours fidèle aux idées de sa jeunesse et que les Romains, pour lui être agréables, appelaient « l’Albane français, » s’arrêta d’abord avec une vive sympathie devant le groupe de Dédale et Icare : Di chi è quest’opera ? — È mia, s’empresse de répondre l’auteur affriandé. — E vostra ? et se tournant vers le Thésée placé tout à côté : E perché allora volete rovinarvi, mutando stile ? Et il lui propose de l’envoyer à Paris où il ne manquerait pas de faire fortune.

Ce qui déplaisait à l’Albane français était justement ce qu’admirait Quatremère de Quincy. Il venait à peine de rentrer à Rome : « J’y avais passé, écrit-il, trois ou quatre années pendant lesquelles l’amour de l’antiquité que j’y avais porté, s’était singulièrement accru... J’appris qu’un jeune Italien exposait un groupe de sa composition, en marbre... Je trouvai une assez grande réunion de curieux. » Jusque-là il n’avait porté aucune attention aux œuvres des modernes, Raphaël Mengs et Battoni exceptés.

Dès le seuil, il fut vivement intéressé par le Thésée : « Le goût du dessin, quoique naturel, c’est-à-dire sans s’élever encore à la hauteur ou à la noblesse de l’idéal, ne laissait pas d’être assez compatible avec le sujet d’un personnage héroïque... La tête de Thésée, si elle était détachée du corps, pourrait, sans disparate, se placer sur... une de ces répétitions d’antiques du troisième ordre qui nous sont parvenues... » Il sortit de cette première visite avec le vif désir de connaître personnellement l’auteur d’un pareil morceau. La connaissance se fit bientôt, — on s’était donné rendez-vous devant l’œuvre elle-même, — et c’est alors que commença cet apostolat que, jusqu’à la fin de sa vie, — sa correspondance en témoigne, — Canova accepta, écouta avec la plus surprenante docilité.