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la conception des personnages, dans l’ordonnance des figures... L’auteur avait enfin banni de son ensemble les allégories banales, les masses tourmentées, la fausse magie d’un pittoresque si mal à propos appliqué au caractère de pareils monuments... » Il exagère. En réalité, le thème fondamental n’a pas changé, des mausolées du cavalier Bernin à ceux de Canova. C’est toujours, autour de la statue de l’occupant du tombeau, cette « troupe sacrée des vertus » que Bossuet avait conviée au pied des catafalques devant lesquels il prononçait ses oraisons funèbres et dont les sculpteurs du XVIIe siècle avaient déjà perpétué dans le marbre et le bronze les pathétiques pantomimes, depuis que le cardinal de Richelieu avait recommandé à la duchesse d’Aiguillon, sa nièce, de le faire représenter sur son tombeau de la Sorbonne, « non pas en priant, qui est une manière trop ordinaire, mais en action de s’offrir à Dieu. »

Au cours du XVIIIe siècle, le scénario était allé se compliquant et se dramatisant dans un « crescendo » continu. On voyait des squelettes livrer à l’ange de la résurrection des assauts mélodramatiques devant les « orants » en extase et les pleurants désolés. Une réaction du bon sens français avait de bonne heure commencé contre l’excès de ces gesticulations éperdues : « Vous rirez bien ! » disait Bouchardon à Cochin, en lui conseillant d’aller voir le mausolée du curé de la paroisse à Saint-Sulpice... (Saint-Sulpice que Quatremère de Quincy rêva un moment de livrer tout entier à Canova, comme le Panthéon de Soufflot d’où il expulsa, pour faire place à Moitte, les Slodtz, Clodion, Houdon, Coustou !) Il y aurait tout de même une bien regrettable lacune dans l’histoire de la sculpture française si le monument du maréchal de Saxe par Pigalle, qui se rattache à tout ce courant d’inspiration, n’avait pas existé ! Et il n’y avait pas si longtemps que ce chef-d’œuvre avait été érigé à Saint-Thomas de Strasbourg, quand Canova entreprit le tombeau du pape Clément XIV. — On soutiendrait difficilement qu’il y eût, de l’un à l’autre, un « progrès. »

La statue du pape Clément XIV domine le monument. Elle est traitée avec une singulière énergie. Le pontife. est assis sur la sedia gestatoria, tiare en tête, enveloppé dans les amples draperies de la lourde dalmatique que soulevé le mouvement en avant du bras droit tendu pour bénir. Mais le geste est d’une véhémence si impérieuse qu’il évoque à l’esprit moins peut-être