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chez l’auteur sicilien ! Ces pauvres gens ont de l’honneur. Lorsque Cloche-de-Bois, qui est un affreux usurier, leur envoie du papier timbré, ils s’en vont tous en corps consulter l’avocat, un matin qui, chaque fois qu’il ouvrait la bouche, vous en débitait pour plus de vingt-cinq lires. Ils expliquent leur affaire ; il éclate de rire : « Hypothèque dotale ! Le créancier n’y peut rien. » Les hommes rentrent rassurés.


— Rien à payer ! s’écria ‘Ntoni, on ne peut pas nous prendre la maison ni la Providence. Nous ne devons rien !

— El les lupins ? dit Maruzza.

— C’est vrai, répéta le vieux, et les lupins ?

— Les lupins ? Est-ce que nous les lui avons mangés, ses lupins ? Je ne les ai pas dans ma poche ! Et on ne peut rien nous prendre à nous : Cloche-de-Bois arrêtera les frais, c’est l’avocat qui l’a dit.

Il y eut un moment de silence. Cependant Maruzza ne paraissait pas convaincue.

— Alors, il a dit de ne pas payer ?

‘Ntoni se gratta la tête. Le vieux ajouta :

— C’est juste. Crucifix a livré les lupins, il faut les lui payer.

Il n’y avait pas à dire. A présent que l’avocat n’était plus là il fallait payer. Et le vieux, secouant la tête, déclara :

— Et puis ça, non ! Ça ne ne s’est jamais vu chez les Malavoglia. Cloche-de-Bois nous prendra la maison, et la barque, et tout, mais ça, jamais !

Il était tout troublé, le pauvre homme, mais sa bru, sans mot dire, sanglotait dans son tablier.


Et je voudrais citer encore, entre tant de pages merveilleuses, la description de la tempête, lorsqu’on a remis à flot ce vieux sabot de la Providence, et que ‘Ntoni remplace son père à la manœuvre, car ce garçon, dans le danger, » avait le cœur grand comme la mer. »


On entendait le vent siffler dans la voile de la Providence, et les cordages résonnaient comme des cordes de guitare. Brusquement, ce fut un bruit aigu comme le cri de la locomotive, quand le train sort du tunnel au-dessus de Trezza, et il arriva un paquet de mer, venu on ne sait d’où, qui fit craquer la Providence comme un sac de noix et la fit sauter en l’air.

— La voile ! A bas la voile ! cria le vieux. La corde ! Coupe la corde !

‘Ntoni, le couteau entre les dents, s’était accroché à l’antenne