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et il l’avait toujours tirée des mauvais pas, parce que, « pour ramer, on a besoin de ses cinq doigts, » et parce que, dans la vie, « il faut que le pouce fasse le pouce, et le petit doigt, le petit doigt. »

Il avait ainsi, pour toutes les circonstances, une foule de dictons dont il prenait conseil, car « Proverbe ne saurait mentir. » Il disait : « Barque sans pilote n’avance pas, » ou : « Pour être pape, il faut commencer par être sacristain, » ou encore : « Bon ouvrier ne meurt pas de faim. » Et il avait élevé son fils, le grand Bastianazzo, à filer droit devant lui, si bien qu’il ne se serait pas mouché, si le vieux ne le lui avait pas dit. Et tout prospérait à souhait dans la maison du néflier Mais le fils aîné de Bastien, qui s’était mis à bien gagner sa vie, est pris par la conscription, et commence à voir du pays ; on reçoit de là-bas des lettres qui parlent de grandes villes où les femmes traînent en marchant sur les trottoirs des robes de soie. Pour marier la fille ainée, qui sera bientôt d’âge, on rêve de s’enrichir d’un coup : on achète à l’oncle Crucifix, dit Cloche-de-Bois, parce que, « quand on lui demandait du crédit, il n’entendait pas de cette oreille, » une cargaison de lupins, une affaire d’or ! que le père ira revendre à Palerme. Mais le bateau se perd corps et biens, le père périt dans le naufrage, et brusquement, c’est la ruine. La maison fait eau de toutes parts. Le mariage arrangé pour Mena est rompu. Le jeune ‘Ntoni revient du service avec de mauvaises habitudes et un goût de paresse. Rien ne lui réussit : il va chercher fortune au loin et revient en guenilles. Peu à peu, il se décourage, il hante le cabaret, et on le voit à la brune avec, les mauvais drôles, du côté des écueils où l’on fait mine de pêcher les crabes à minuit, pour débarquer de la contrebande. Un jour, cela finit par des coups de couteau, et ‘Nioni quitte le pays entre deux gendarmes, pour avoir saigné un gabelou. Son frère Luca, qui était du bon sang des Malavoglia, coule sur son cuirassé à la bataille de Lissa. La mère meurt de douleur. La dernière sœur. Lia, tourne mal. Le vieux, accablé de malheurs, finit à l’hôpital. Il ne reste, de toute la famille, que le cadet, Alessi, qui, avec sa sœur, la bonne Mena, reconstruira le foyer détruit, et demeurera au pays pour y faire refleurir les Malavoglia.

On voit la ressemblance de cette histoire avec celle de la déchéance de Gervaise et de Coupeau. Mais quelle supériorité