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rendu le dossier, sous un prétexte. Par bonheur, Me Martigny, une des gloires du barreau, se présente pour défendre la jeune femme. C’est pour les parents et les amis de l’accusée un immense soulagement. Me Martigny est réputé non seulement pour son beau talent de parole, mais pour sa scrupuleuse honnêteté : il ne se chargerait pas d’une mauvaise cause. Son acceptation est une présomption d’innocence.

Il faut savoir, car c’est un point de grande importance et qui dominera toute la pièce, que Martigny n’est pas un étranger pour Mme du Coudrais. Il l’a connue jeune fille, et peut-être a-t-il souhaité l’épouser. Mariée, il avait continué de la voir : il est voisin de campagne des du Coudrais. Mais, devant la jalousie du mari, il a cessé ses visites. Son estime pour une femme, dont tout le passé proteste contre d’odieux soupçons, se nuance ou sa vive d’un sentiment plus tendre. Il mettra dans sa plaidoirie toute sa conviction, et tout son cœur.

Donc, il fait venir dans son cabinet et interroge tous ceux dont il compte invoquer le témoignage aux assises. Un à un, nous les entendons. Et, à mesure, nous avons la surprise de constater que l’effet produit est au rebours de celui qu’escomptait Martigny. Chacun de ces témoins à décharge va, involontairement, charger l’accusée. Un domestique nous apprend qu’après le départ de M. du Coudrais le revolver était resté dans le tiroir de la chambre à coucher, où aucun étranger n’a pu pénétrer. Une vieille gouvernante, toute dévouée à Mme du Coudrais, nous révèle qu’une mésintelligence foncière faisait des deux époux deux ennemis, et de la vie du ménage un enfer.

Plus graves encore sont les aveux que nous tenons du père lui-même de la victime. Devant celui-là il convient de nous arrêter un instant. C’est de toute la pièce le personnage le mieux venu. Le caractère est étudié, fouillé, solide et nuancé. De plus, le rôle a été supérieurement joué. M. Berthier a composé, avec autant de fine intelligence que de relief et de pittoresque, cette figure de hobereau, qui commence en cynique et finit en brave homme, en pauvre homme, en « pauv’ vieux. » Ah ! comme il dit cela, au dernier acte, ce Berthier, au nom des deux pères, avec quelle simplicité et quelle profondeur d’émotion : « Deux pauv’ vieux ! » Du Coudrais père est un de ces gentilshommes campagnards, buveurs et coureurs, qui ont du gentilhomme le libertinage et du paysan la grossièreté, et près de qui souffre et meurt lentement une épouse admirable. Il avait en son fils le digne héritier et continuateur de ses vices. Il en convient ; seulement,