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il ne voudrait pas que cette boue fût remuée aux assises. Alors, tout naturellement, il est venu offrir de l’argent à l’avocat...

Mais l’attitude la plus troublante est, sans conteste, celle de Mme du Coudrais elle-même. Cette femme, sur qui pèse la plus grave des accusations, ne veut rien dire. Vainement Martigny essaie-t-il de lui faire comprendre les terribles conséquences de ce mutisme. Elle a un secret ; son secret lui appartient : elle refuse de le livrer. Une enveloppe cachetée, versée au dossier, en contient l’aveu. Cette enveloppe, prometteuse et irritante, Mme du Coudrais n’autorise pas son avocat à en briser le cachet. En voilà une qui ne facilite pas la tâche à son défenseur ! Tant et si bien que Martigny n’a plus sa belle assurance du début. Il est inquiet, perplexe. Nous, après la série de dépositions qui viennent de nous être présentées en un très habile crescendo, nous ne doutons plus de la culpabilité.

La preuve décisive nous en est fournie au début du second acte. Nous apprenons que Mme du Coudrais a été vue à l’instant du meurtre. Il y a des témoins. Le père de la victime a en poche leurs dépositions signées ; il est maître de la situation : il dépend de lui que sa belle-fille soit condamnée. Or il veut au contraire la faire acquitter. Ce chef de famille aux mœurs débraillées, a quand même le sentiment de la famille. Il sacrifie sa vengeance, sa légitime vengeance, à l’honneur du nom.

Mais lui, l’honnête Martigny, que va-t-il faire ? S’il plaide l’innocence, tout en sachant que sa cliente est coupable, que devient sa conscience d’honnête homme ? S’il est le premier à trahir la cause dont il s’est chargé, que devient sa conscience d’avocat ? Il a promis à du Coudrais père de ne pas révéler à l’audience les tares de du Coudrais fils ; peut-il en conscience, renoncer au seul moyen de faire acquitter sa cliente ? Y a-t-il deux morales, comme disait l’autre, et la morale professionnelle peut-elle s’opposer à la morale générale ? Noble conflit d’idées, éloquente querelle du Juste et de l’Injuste, qui met aux prises l’avocat Martigny et un ancien magistrat, son grand père. « Me Martigny : Le devoir professionnel, c’est la défense complète, absolue, sans limites, de celui qui nous confie le soin de son honneur. Au criminel surtout, nous ne devons avoir qu’une pensée : disculper l’accusé. Je me dois tout à mon client. — Le Président Martigny : Tu lui dois ton talent, mais non pas ton honneur ! » Les arguments s’entrechoquent dans une atmosphère de logique enflammée ; mais surtout, ce qui nous fait paraître plus rapide encore cette discussion, c’est qu’elle sort spontanément