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Nos yeux ne se lassent pas de cette désolation magnifique, de ces espaces abrupts, vierges de toute trace humaine, où seule règne la lumière qui baigne ces durs reliefs d’une sorte de douceur immatérielle.

Cependant, ces solitudes deviennent de plus en plus inexorables. Comment un arbre même pourrait-il s’agripper à ces escarpements ?

Le navire jette l’ancre. Nous sommes dans la baie de Saint-Jean de Medua. Et le regard cherche, le long de l’étroite bande de terre entre la nappe bleue du golfe et la haute barrière de rochers.

La ville ? Où donc est la ville ? cette ville dont les journaux ont fait retentir le nom dans tout le monde, lorsqu’ils annonçaient le bombardement de Saint-Jean de Medua.

Au revers de la pointe, où les broussailles moins clairsemées donnent l’illusion d’un maquis très maigre, on distingue les assises d’un long bâtiment rasé, quelques ruines posées à de grandes distances, deux ou trois constructions neuves à l’aspect de casernes, et de pauvres cabanes tapies le long du rivage, de la même couleur que le sol dont elles se distinguent à peine. C’est tout... A flanc de colline, ces murs blancs sont des ouvrages de défense, et l’on distingue sur la grève, et grimpant les premières rampes, des taillis de fils barbelés. Une série de bateaux qui rentrent, les uns derrière les autres, rappellent que nous sommes dans un port... des dragueurs de mines ayant achevé leur dangereux travail quotidien. Saint-Jean de Medua, enfermé au pied de cet amphithéâtre hostile, quelle vision de solitude !

On comprend un peu l’impression de ces voyageurs qui débarquèrent ici, il y a quelques années, dans l’intention d’exploiter les forêts à l’intérieur du pays.

— C’est ça, l’Albanie !

A peine descendus à terre, ils ont hélé leur barque ; en hâte, ils se firent reconduire au vapeur... et ils retournèrent en Occident.

— C’est ça, l’Albanie...

Mes yeux évoquent au delà du chaos de rochers la coupée du Drin que va rejoindre la route unique de Saint-Jean de Medua, le Drin lent et gris, en marche vers Scutari étalée dans sa plaine, sous le triangle aigu de son Tarabosh ; je revois le lac, immense et pâle entre ses montagnes dont nous avons salué les