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cimes en passant. Un dédale de sommets aux lignes sèches et précises, se haussant les uns derrière les autres, et portant les noms des clans qui les revendiquent.

Oui, c’est cela, l’Albanie. Une terre mystérieuse et difficile d’accès, étroitement gardée par ses montagnes comme par des bastions, un pays qui fut scellé pendant des siècles sous la jalouse tutelle des Tures, un jardin clos demeuré tel quel, une âme qui n’est pas diminuée et affaiblie au contact de la vie moderne. — N’est-ce pas là ce que nous allons chercher ?

Le soleil s’attarde au flanc des âpres pentes qui s’empourprent comme si elles eussent soudain fleuri. Et voici le crépuscule. Le golfe du Drin s’assombrit lentement. Les petites maisons de pécheurs se sont anéanties ; on les croirait aspirées par la terre.

C’est l’heure où s’éveillent les essaims innombrables de moustiques, porteurs de la malaria.


Une tache claire se dessine contre une colline basse et pelée, dominant un vaste golfe : c’est Durazzo. La rive s’infléchit et l’on aperçoit au loin une plaine immense. Les chaînes de montagnes se poursuivent très en arrière, houleuses, superposant leurs sommités comme des vagues immobiles.

Toute la lumière d’Orient semble venir à la rencontre du navire sur les eaux d’un bleu allègre. Cependant, la nappe d’azur est trouée en trois endroits. Des sommets de mats émergent, un morceau de bastingage, une cheminée morte : trois navires qui furent coulés en rade de Durazzo pendant la guerre.

Voici les minarets, la tour de l’horloge, les verdures discrètes, noyant les maisons musulmanes. Et, tout au bord de l’eau, ces larges ruines, ces murs spacieux percés de trous, c’est le palais du prince de Wied que les obus autrichiens ont effondré. Tout au bord de l’eau… comme si le Roi inquiet eût à peine osé poser le pied sur le sol de son royaume.

Une barque nous emporte à travers la baie qui fut témoin de tant de naufrages…

Sur l’embarcadère sont groupes des hommes immobiles dont les vêtements de laine blanche soutachée de noir, les fez blancs semblent refléter l’ardente lumière. Ils ont de beaux